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L’efficacité de la rotation géographique des effectifs dans la prévention de la corruption dans le secteur douanier

Question

Veuillez fournir un résumé de la littérature quant à l’efficacité de la rotation géographique des effectifs dans la prévention de la corruption dans le secteur des douanes.

Avertissement

Cette réponse du Helpdesk est basée sur des recherches documentaires et s’appuie donc sur des documents publiés par d’autres. Aucune recherche primaire n’a été effectuée.

Le sujet de cette réponse, à savoir les politiques de rotation des effectifs, a des implications opérationnelles qui dépassent la prévention de la corruption, quelle que soit l’organisation qui les met en œuvre. Si le présent document aborde certaines de ces implications, il ne prétend pas les couvrir de manière exhaustive.

Introduction

Le terme « douane » désigne les services administratifs responsables de l’application de la législation douanière et de la perception des droits et taxes (OMD 2006). Ces services sont également chargés de l’application d’autres lois et règlements relatifs à l’importation, à l’exportation, à l’acheminement ou au stockage des marchandises (OMD 2006).

Le secteur douanier est exposé à la corruption. McLinden et Durrani (2013 : 4) affirment ce qui suit :

« presque toutes les fonctions exercées par les douanes sont exposées à la corruption, notamment l’évaluation de l’origine, de la valeur et du classement ; l’inspection du fret ; la gestion des régimes de concession, de suspension, d’exonération et de remboursement ; les contrôles a posteriori ; les opérations de transit ; le traitement des passagers, la délivrance de différents permis et autorisations ; et, plus récemment, l’accès aux programmes d’opérateurs agréés ou préférentiels qui confèrent des privilèges spéciaux à certains opérateurs. »

Dans sa forme la plus typique, la corruption dans le secteur des douanes prend la forme d’un client qui soudoie un agent des douanes en échange de la non-application de la loi (Jancsics 2019 : 3). Par exemple, des agents des douanes soudoyés peuvent abuser de leur pouvoir pour empêcher la détection de marchandises illicites ou pour ne pas appliquer les droits de douane sur les marchandises d’un client. Des cas ont également été signalés où des agents des douanes ont extorqué des pots-de-vin à des opérateurs, par exemple en les menaçant de taxes ou de droits de douane fallacieux (Banque mondiale, sans date). Les autres formes de corruption impliquant des agents des douanes sont la fraude (telle que la falsification de documents), le détournement de marchandises et le népotisme (en particulier lors du recrutement) (Chêne 2018 : 9).

L’ampleur même des profits en jeu implique qu’un large éventail d’acteurs peut être impliqué dans la corruption des agents des douanes, y compris des entités du secteur privé telles que les entreprises de fret, mais aussi des réseaux criminels organisés et des acteurs politiques locaux. Dans de nombreux cas, le client et l’agent des douanes développent une relation de corruption à long terme.

Cette vulnérabilité est aggravée par le haut pouvoir discrétionnaire dont jouissent souvent les agents des douanes pour prendre des décisions telles que l’autorisation des importations et des exportations ou le choix du niveau de taxe à imposer (Chêne 2018 : 4). En outre, de nombreux agents des douanes travaillent dans des endroits reculés où il peut s’avérer difficile de contrôler leur comportement de manière efficace (McLinden et Durrani 2013 : 4).

Selon les estimations, 30 % ou plus des recettes douanières, générées par les taxes sur les opérations commerciales, sont perdues à cause de la corruption dans certains pays en développement (Banque mondiale, sans date). La corruption au sein des douanes peut également entraver la facilitation des échanges et nuire à la sécurité intérieure lorsque le trafic concerne des marchandises illicites telles que des armes à feu (Fjeldstad et Raballand 2020 : 123).

Face au grave impact de la corruption au sein des douanes, plusieurs mesures de lutte contre la corruption visant à remédier à ces vulnérabilités et à promouvoir des normes d’intégrité plus élevées ont été mises en œuvre dans différentes administrations des douanes. Le présent document se concentre sur l’une de ces mesures : la rotation géographique des effectifs.

Dans le cadre de cette politique, les administrations des douanes font tourner à intervalles réguliers leurs agents entre différents bureaux de douane au lieu de les affecter au même bureau de façon permanente. Cette politique peut avoir plusieurs objectifs, l’un d’entre eux étant de décourager le développement de relations corrompues à long terme, lesquelles sont rendues possibles par le fait qu’un agent des douanes reste dans un lieu fixe.

La rotation des effectifs se retrouve dans de nombreux secteurs en tant que mesure d’intégrité, notamment dans les domaines de la répression et des marchés publics, et elle a pris une ampleur considérable dans le secteur des douanes. En 2003, les États Membres de l’Organisation mondiale des douanes (OMD) ont adopté la Déclaration d’Arusha révisée, laquelle stipule que pour être efficaces, les programmes nationaux en matière d’intégrité des douanes doivent tenir compte de dix facteurs clés essentiels. L’un d’entre eux se lit comme suit :

« Afin de réduire les occasions favorisant les irrégularités, les cadres de la douane doivent recourir à diverses mesures comme le cloisonnement stratégique des fonctions, la rotation des effectifs et la répartition aléatoire des vérifications entre les différents fonctionnaires des douanes et, dans certains cas, les changements d’affectation réguliers. »

Ainsi, le présent document évalue l’efficacité de la rotation des effectifs dans la lutte contre la corruption et vise à apporter un éclairage supplémentaire sur les « cas » dans lesquels cette mesure devrait être utilisée. Il se concentre sur le secteur douanier, mais tire des conclusions d’autres domaines lorsque cela s’avère pertinent.

La première partie de ce document présente une vue d’ensemble de la rotation des effectifs, y compris les variations dans sa mise en œuvre. La deuxième section résume les résultats pertinents de la littérature qui soutiennent la conclusion selon laquelle la mesure peut être efficace pour lutter contre certaines formes de corruption. La troisième section se penche à l’inverse sur les limites de cette mesure à cet égard. La dernière section aborde certaines des implications opérationnelles potentielles de la rotation des effectifs qui ne sont pas en soi liées à la corruption, mais qui constituent néanmoins des considérations importantes pour toute administration des douanes mettant cette mesure en œuvre.

La rotation des effectifs

Les relations de corruption dans le secteur douanier

Les relations ou réseaux de corruption constituent un risque particulièrement important dans le secteur des douanes. Si la corruption peut être le fait d’individus, il existe souvent « des formes plus systémiques de corruption impliquant le développement de réseaux corrompus au sein de l’administration des douanes » qui répartissent les bénéfices de la corruption entre chacun de ses membres (Chêne 2018 : 8).

Cette situation peut être attribuée à plusieurs principaux. Le risque de relations corrompues est souvent plus prononcé aux petits points de passage frontalier, où les réseaux sociaux informels peuvent plus facilement se développer en dehors du lieu de travail (Chêne 2018 : 2). Dans de nombreux pays, les agents des douanes sont souvent originaires des régions frontalières où ils travaillent, ce qui signifie que les liens de corruption peuvent s’étendre sur de longues périodes (Begovic et Mijatovic 2002 : 30).

La corruption au sein des douanes peut être particulièrement bien ancrée en raison de la durabilité de ces réseaux. Les membres de ces réseaux partagent souvent un niveau élevé de confiance et de réciprocité et veillent à ce que les informations clés soient conservées au profit de l’ensemble du réseau, telles que la tolérance de la direction générale à l’égard de la corruption et les personnes susceptibles d’être corrompues (Fjeldstad et Raballand 2020 : 124).

Les politiques de rotation des effectifs

La rotation géographique des effectifs constitue l’un des outils d’un ensemble plus large de politiques de rotation des effectifs. Gounev et Bezlov (2010 : 102) différencient trois types de politiques de rotation des effectifs utilisées dans le secteur douanier. Tout d’abord, les agents des douanes peuvent être périodiquement affectés dans d’autres lieux à l’intérieur d’un pays pour effectuer leur travail. Deuxièmement, leurs quarts de travail peuvent alterner fréquemment et aléatoirement avec ceux d’autres fonctionnaires. Enfin, les horaires peuvent être aléatoires, de sorte que l’agent des douanes qui inspecte tel ou tel objet (par exemple, un envoi) ne soit pas déterminé à l’avance.

En outre, la rotation des postes peut également être appliquée, par laquelle les agents sont affectés à différents rôles et tâches. L’expression « rotation des effectifs » se rencontre souvent dans la littérature en tant qu’expression générique pour chacune de ces mesures, car elles ont pour objectif commun de lutter contre la corruption. Néanmoins, il convient de les différencier, car elles peuvent avoir des niveaux d’impact et des implications opérationnelles différents. La présente réponse se concentre sur la première de ces variantes. Lorsque l’expression « rotation des effectifs » apparaît dans le présent document, elle doit s’entendre comme faisant principalement référence à la rotation géographique.

Le recours à cette mesure pour lutter contre la corruption remonte à une période étonnamment lointaine. Coşgel et al. (2012 : 366) expliquent que la rotation des fonctionnaires était utilisée à l’époque de l’Empire ottoman comme une mesure visant à réduire les risques de corruption. Elle s’est aujourd’hui généralisée ; par exemple, le département de police de la ville de New York l’a adoptée dans les années 1970 pour lutter contre la corruption au sein de ses services (Center for the Study of Democracy 2012 : 91). En Allemagne, le ministère fédéral de l’Intérieur a introduit en 1998 une directive ordonnant la rotation tous les cinq ans de tous les fonctionnaires fédéraux travaillant dans des domaines particulièrement exposés à la corruption (tels que les marchés publics) (Abbink 2004 : 887).

Cette politique a été particulièrement bien suivie par le secteur des douanes. Outre la Déclaration d’Arusha révisée, un rapport de l’OCDE souligne également que la rotation des effectifs est une bonne pratique pour les postes plus exposés à la corruption et à d’autres risques pour l’intégrité (OCDE 2016 : 39). En 2016, 13 pays sur 20 ont indiqué au Groupe de travail anticorruption du G20 sur l’intégrité au sein des douanes avoir mis en place des politiques de rotation des effectifs dans leur administration des douanes (OCDE 2016 : 61).6a0ba2735952 On peut supposer que cette mesure est due non seulement à la vulnérabilité des douanes à la corruption, mais aussi à certaines caractéristiques du secteur douanier qui se prêtent à la rotation des effectifs, comme l’existence de nombreux bureaux entre lesquels il est possible d’effectuer les rotations.

Les variations dans la rotation des effectifs

Sur un plan plus technique, les politiques de rotation des effectifs peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre. Par exemple, à Singapour, les fonctionnaires sont affectés à un poste pour une durée maximale de 10 ans avant d’être réaffectés ailleurs (ONUDC 2017), tandis que dans les États membres de l’UE, la période la plus courante est de cinq ans (Gounev et al. 2012 : 109). En Italie, l’agence des douanes détermine la durée de l’affectation en fonction du niveau de risque du poste et applique des périodes plus courtes pour les fonctions à haut risque (OMD 2017 : 56). Certains postes peuvent impliquer une rotation plus fréquente. En Ukraine, par exemple, 10 unités mobiles interdépartementales ont été mises en place pour répondre aux délits de corruption au sein de la douane, avec une rotation mensuelle de l’ensemble des effectifs (Interfax Ukraine 2016).

En outre, la rotation des effectifs peut ne pas s’appliquer aux agents des douanes de tous les niveaux d’ancienneté. Dans leur étude sur les États membres de l’UE, Gounev et al. (2012 : 109) ont constaté que, par exemple, les agences d’Estonie et de Lituanie ne rendent la délocalisation obligatoire que pour les hauts fonctionnaires, tandis que la Pologne et la Bulgarie excluent les hauts fonctionnaires de leur politique. La douane italienne impose la rotation des fonctions pour les postes de cadres et de non-cadres (OMD 2015 : 160).

Enfin, la nature de la délocalisation ou du transfert peut varier. La littérature distingue les transferts horizontaux (où les fonctionnaires sont transférés entre des postes de même rang ou de même ancienneté) des transferts verticaux, selon lesquels les fonctionnaires sont transférés à des postes de rang ou d’ancienneté différents. En ce qui concerne le transfert vertical, la délocalisation peut être l’occasion de promouvoir ou de rétrograder un fonctionnaire. Une étude réalisée par l’administration des douanes serbe (Begovic et Mijatovic 2002) a montré que malgré l’existence de ces deux types de transferts, les transferts horizontaux étaient beaucoup plus fréquents que ceux verticaux. Dans une approche différente, l’administration des douanes indienne s’efforce quant à elle de faire tourner ses agents entre des postes sensibles et des postes non sensibles (OMD 2020 : 17).

Les objectifs de la rotation des effectifs

Les objectifs politiques précis de la rotation des effectifs peuvent également varier. Par exemple, les objectifs officiels de la rotation des effectifs de la fonction publique de la République du Kirghizistan comprennent la réduction des risques de corruption, le soutien à la motivation professionnelle et l’amélioration de l’efficacité institutionnelle (Nozdrachyev/Ноздрачев 2019 : 15). Gounev et al. (2012 : 100) ont mené une étude concernant plusieurs agences et unités responsables de la sécurité des frontières dans 23 États membres de l’UE et ont constaté que 75 % d’entre elles avaient mis en place des politiques de rotation. Les objectifs déclarés de ces politiques comprenaient la prévention de la corruption, mais certaines agences utilisaient également la délocalisation de manière punitive, comme réponse aux petits délits de corruption commis par des agents ne justifiant pas un licenciement. Un organisme finlandais a déclaré que la rotation peut également être utilisée pour aider les agents à acquérir de l’expérience dans l’exécution de différentes tâches.

Étant donné la nature multiforme de la corruption, peu de mesures anticorruption sont de nature ou même cherchent à cibler toutes les formes de corruption. En conséquence, la rotation des effectifs vise à traiter un aspect spécifique de la corruption. La littérature spécialisée s’accorde généralement à dire que la rotation des effectifs cible les relations corrompues entre les fonctionnaires et les clients. Il peut s’agir d’empêcher de telles relations de se former, mais aussi de perturber les relations de corruption déjà établies (ONUDC, sans date). Dans le contexte de la douane, cela concerne les relations entre les agents des douanes et trois types de clients : les individus, les groupes informels (par exemple, un groupe criminel organisé) et les organisations formelles telles que les sociétés commerciales (Jancsics 2019 : 11).

Bien entendu, il existe également des échanges corrompus qui ne reposent pas sur l’existence d’une relation. Par exemple, des cas ont été rapportés de clients essayant de soudoyer une personne en service, qu’ils la connaissent ou non (Jancsics 2023 : 7). Il en va de même pour les agents des douanes malhonnêtes qui tentent d’escroquer des clients sans distinction. Toutefois, la rotation des effectifs est jugée plus efficace pour lutter contre les relations de corruption à long terme.

Bouman (2021 : 104) explique la logique derrière ce raisonnement. En procédant à une rotation des agents dont les fonctions les amènent à avoir des contacts fréquents avec des corrupteurs potentiels, l’administration des douanes peut empêcher le développement d’une relation à long terme entre un corrupteur potentiel et un fonctionnaire. En l’absence d’une telle relation, il est plus difficile pour le corrupteur de prédire si un fonctionnaire acceptera ou non le pot-de-vin, ou s’il va accomplir l’action souhaitée en échange du pot-de-vin. Cela augmente le risque pour lui que la tentative de corruption ait des conséquences, par exemple qu’elle soit dénoncée, ce qui a donc un effet dissuasif. En effet, les incitations à soudoyer un fonctionnaire sont moins motivées, car si celui-ci ne reste pas au même poste, les gains que la corruption serait susceptible de générer à long terme sont moindres (ONUDC, sans date). Comme l’explique Bayar (2013) : « Il peut s’avérer inutile pour un client individuel d’engager des frais pour établir des relations avec chaque nouvel agent afin d’obtenir des avantages liés à la corruption ».

Par conséquent, la stratégie de la rotation des effectifs repose sur l’hypothèse que création d’une « incertitude quant à la corruptibilité du partenaire potentiel en matière de corruption » (Abbink et Serra 2012 : 6) dissuadera la corruption.

Cette approche semble également se refléter au niveau politique. Dans leur étude sur les États membres de l’UE, Gounev et al. (2012 : 100) ont estimé que la rotation des effectifs « vise à empêcher l’établissement de réseaux de corruption ou de relations personnelles durables avec les communautés locales susceptibles d’influencer le jugement d’un agent ». Cette politique peut prendre en compte des facteurs locaux spécifiques. Par exemple, Onder (2015 : 65) a constaté que la politique de rotation des effectifs au sein de la police nationale turque visait à affaiblir les liens entre les officiers de police et les communautés dans lesquelles ils servent, notamment pour décourager la collusion fondée sur des facteurs ethniques.

Le rôle clé des relations et des réseaux de corruption dans le secteur des douanes peut contribuer à expliquer pourquoi la rotation des effectifs, une politique qui vise à cibler ces mêmes relations et réseaux, est largement utilisée dans le secteur. En outre, de telles mesures préventives sont adaptées à la douane, où la surveillance directe peut être difficile. De même, comme le souligne Bouman (2021 : 22), il peut être plus efficace pour les décideurs politiques de chercher à démanteler les réseaux plutôt que de chercher des mesures pénales pour chacun de leurs membres.

L’efficacité de la rotation des effectifs dans la prévention et la lutte contre la corruption

L’utilisation répandue et continue des politiques de rotation des effectifs laisse à penser que de nombreux pays et autorités évaluent positivement l’efficacité de cette mesure (par exemple, voir Bundesministerium des Innern und für Heimat 2019).

Néanmoins, l’efficacité des politiques de rotation des effectifs n’a pas fait l’objet d’études approfondies. Borges et al. (2017 : 27) ont examiné la littérature disponible à l’époque et ont constaté qu’aucune étude n’utilisant des approches « ethnographiques / qualitatives », « macro quantitatives » ou « micro quantitatives » n’avait été réalisée.

Ingrassia (2021 : 5) décrit comment l’évaluation de l’impact de la rotation des effectifs se heurte aux mêmes difficultés que l’évaluation d’autres mesures de lutte contre la corruption. Par exemple, le fait que les actes de corruption tendent à se produire à l’abri des regards complique l’évaluation de l’impact par rapport à un nombre fiable d’incidents de corruption.

Une approche adoptée dans le secteur des douanes consiste à utiliser le volume des recettes perçues comme indicateur. Par exemple, dans le cadre d’une étude (Cheptarus 2018 : 31) sur la perception des recettes au Kenya, 107 personnes travaillant à différents postes dans les services douaniers ont été interrogées. Il leur a été demandé leur avis sur l’affirmation selon laquelle la rotation des effectifs avait eu un impact positif sur le taux de perception des recettes. Voici les résultats :

  • 45,8 % sont tout à fait d’accord avec l’affirmation ;
  • 24,3 % sont d’accord ;
  • 18,7 % ne savent pas ;
  • 11,2 % ne sont pas d’accord ;
  • 0 % ne sont pas du tout d’accord.

Un rapport existe également concernant les effets immédiats de la rotation des effectifs en Moldavie : 168 personnes travaillant pour l’administration des douanes nationale ont fait l’objet d’une rotation entre juillet et décembre 2002. L’administration a fait état d’impacts positifs : par exemple, après la rotation de 80 % du personnel du bureau des douanes de la ville de Cahul, davantage de recettes ont été collectées en une semaine qu’au cours du mois précédent (Obreja et al. 2003 : 83).

Cependant, la majorité de la littérature disponible sur l’efficacité des politiques de rotation des effectifs concerne le domaine de l’économie, et plus spécifiquement le sous-domaine de la théorie des jeux. Ce volet de la littérature se concentre en particulier sur l’efficacité de la rotation des effectifs (qu’elle soit géographique ou autre) pour modifier les décisions que les acteurs d’une relation corrompue prendraient normalement.

Abbink (2004) est l’auteur d’un article de référence décrivant une expérience en laboratoire mise en place pour déterminer si la rotation des effectifs permet de réduire le taux de corruption. Il a conçu un jeu dans lequel des étudiants jouaient le rôle de corrupteurs potentiels et de fonctionnaires dans des conditions de rotation des effectifs. Ils se sont vu attribuer une monnaie fictive qui pouvait être échangée contre de la monnaie légale à la fin du jeu. À chaque tour, les corrupteurs potentiels pouvaient décider d’essayer de soudoyer le fonctionnaire, tandis que ce dernier pouvait choisir d’accepter ou non le pot-de-vin. Les coûts et les risques associés à ces décisions ont été intégrés au jeu, y compris le niveau d’inefficacité organisationnelle causé par la corruption. Le jeu s’est déroulé sur 30 tours au cours desquels les paires de corrupteurs potentiels et d’agents publics ont été à chaque fois composées de manière aléatoire afin de simuler la rotation des effectifs, puis une comparaison a été faite avec les résultats obtenus lorsque les paires restaient fixes.

Abbink a constaté que la rotation des effectifs avait un effet significatif et réduisait de près de moitié les pots-de-vin versés et de deux tiers la fréquence des décisions frauduleuses dues aux pots-de-vin. Il a toutefois reconnu certaines limites à son modèle : par exemple, la probabilité qu’un fonctionnaire signale une tentative de corruption n’est pas prise en compte. De plus, il a également mis en évidence la nécessité d’analyser les effets de la rotation des effectifs dans d’autres environnements présentant des conditions plus riches et plus diversifiées.

Néanmoins, l’étude d’Abbink ajoute un poids empirique à l’argument logique selon lequel la rotation des effectifs rend les clients et les fonctionnaires moins susceptibles de s’engager dans la corruption en raison du manque de prévisibilité quant à la possibilité de soudoyer ou non l’acteur adverse.

En outre, d’autres chercheurs sont parvenus, à l’aide de la modélisation économique ou d’expériences en laboratoire, à des résultats similaires à ceux d’Abbink, concluant globalement que la rotation des effectifs a un impact sur la réduction de la corruption lorsque les clients et les fonctionnaires font l’objet d’une rotation dans ce type de modèle (Jellal 2009 ; Bayar 2013 ; Rangone 2016 ; Bühren 2020 ; Fišar et al. 2021). Il convient de noter que certaines de ces études émettaient des réserves. Par exemple, Fišar et al. (2021) ont constaté que si la rotation des effectifs réduisait la part des pots-de-vin acceptés par les fonctionnaires et les décisions frauduleuses prises en raison de la corruption, elle n’influençait pas la proportion de corrupteurs potentiels offrant des pots-de-vin.

Les limites et les risques de la rotation des effectifs dans la lutte contre la corruption

Comme nous l’avons vu, le principal levier anticorruption de la rotation des effectifs est la prévention et la perturbation des relations corrompues. Par conséquent, les sceptiques quant à l’efficacité de la rotation des effectifs mettent souvent l’accent sur ses limites en termes de perturbation des relations.

Les réseaux de corruption peuvent être suffisamment organisés pour réagir aux effets de la rotation des effectifs et les contourner. Par exemple, un reportage sur une affaire de corruption impliquant une division des douanes travaillant à Shenzhen, en Chine, a révélé que plusieurs cycles de rotation des effectifs n’avaient pas permis d’enrayer la corruption parce que la division impliquée avait copié les pratiques de corruption utilisées dans d’autres divisions (Chen 2015). En effet, les réseaux de corruption sophistiqués ont souvent une portée géographique étendue. De même, Begovic et Mijatovic ont constaté que la rotation des agents des douanes en Serbie au cours des années 1990 avait été inefficace parce que les réseaux de corruption étaient suffisamment robustes pour s’adapter rapidement aux nouveaux points de passage frontalier (2002 : 101).

Certains types de relations corrompues peuvent être plus enracinés et donc résister à la rotation des effectifs. Jancsics (2019 : 11) émet l’hypothèse que tel soit le cas des « relations de corruption fondées sur des arrangements sociaux préexistants, tels que les réseaux familiaux, amicaux ou communautaires ». Fjeldstad et Raballand (2020 : 125) affirment que « les agents des douanes construisent des réseaux composés de membres de leur famille, d’amis et de connaissances basés sur la confiance et la réciprocité comme un moyen de s’assurer une assistance bancaire pour l’avenir ». Ils expliquent que les agents des douanes sont souvent perçus par les membres de leur famille et leur réseau comme des mécènes (Fjeldstad et Raballand 2020 : 124). Cela suggère que certains réseaux, reposant sur des normes sociales et des pressions sociétales, peuvent être plus résistants à la rotation des effectifs.

Bühren (2020) a réalisé une expérience de corruption inspirée de celle d’Abbink afin de tester l’effet de la rotation des effectifs sur la corruption en Allemagne et en Chine. Il a constaté que dans les deux pays, la rotation des effectifs réduisait la propension des fonctionnaires à se comporter de manière corrompue. Toutefois, il a remarqué que l’influence de la rotation des effectifs sur la propension des clients à verser des pots-de-vin était davantage perceptible en Allemagne qu’en Chine. Il explique cette différence par la culture chinoise du guanxi, qu’il décrit comme « des liens sociaux forts de réciprocité et de confiance (et contraire à l’opportunisme) dans le comportement économique chinois ». Selon Bühren, par opposition à l’Allemagne, le client en Chine peut, en raison des normes sociales du guanxi, s’attendre davantage à ce que sa tentative de corruption d’un fonctionnaire soit réciproque, même s’il n’a pas développé une relation de longue date avec cet agent, ce qui signifie que le taux de corruption n’a pas été affecté de manière significative par la rotation des effectifs.

D’autres limites peuvent découler des variations techniques dans la mise en œuvre de la mesure. Par exemple, certaines personnes interrogées dans le cadre d’une étude sur la rotation des effectifs dans la gestion de la faune sauvage au Kenya ont estimé que les périodes de rotation de trois ans étaient trop longues pour empêcher l’émergence de risques de corruption basés sur les relations locales (OCDE 2017 : 51).

Une autre limite est que la rupture d’une relation corrompue peut engendrer d’autres relations. Bayar (2013) propose un modèle économique pour tester l’effet de la rotation des effectifs sur la corruption qui diffère de celui d’Abbink en ce qu’il tente de prendre en compte le rôle des intermédiaires dans la facilitation de la corruption entre les agents et les clients. Son modèle établit que la rotation des effectifs peut, sous certaines conditions, entraîner une augmentation de la corruption par des intermédiaires. Cela se produit lorsque des intermédiaires (qui sont considérés comme immobiles) prennent en charge la mise en place d’une relation avec l’agent (la cible à corrompre) au profit de clients, parce que la rotation des effectifs empêche les clients (les corrupteurs) de le faire eux-mêmes. Si l’intermédiaire réussit à établir cette relation, il peut en faire bénéficier de nombreux clients en échange d’une commission, réduisant ainsi le coût global par transaction corrompue. Par conséquent, la relation corrompue est plus rentable qu’elle ne l’aurait été si l’intermédiaire n’avait pas joué ce rôle, ce qui, à son tour, encourage un taux plus élevé de corruption facilitée de cette manière.

Néanmoins, Bayar affirme qu’il est possible de concevoir cette politique de manière à ce que le personnel soit renouvelé assez fréquemment pour que les intermédiaires ne puissent pas établir aussi facilement de liens avec les agents et en soient donc découragés. Les conclusions de Bayar sur les intermédiaires peuvent être particulièrement pertinentes pour le secteur des douanes, où des tiers supplémentaires opèrent souvent entre la douane et les opérateurs, tels que les agents en douane et les opérateurs logistiques (Fjeldstad et Raballand 2020 : 123).

D’autres voix s’élèvent dans la littérature pour affirmer que la rotation des effectifs peut créer davantage d’opportunités de corruption. Langseth et al. (1997 : 26) considèrent que la rotation des effectifs pourrait faciliter la corruption systémique parce qu’elle donne l’occasion aux hauts fonctionnaires corrompus d’exploiter la mesure politique pour punir les subordonnés qui résistent à la corruption. Bouman (2021 : 104) met en garde contre le fait que certains lieux d’affectation peuvent être considérés par les agents des douanes comme meilleurs que d’autres, ce qui peut les amener à se faire concurrence et à soudoyer des fonctionnaires de haut niveau pour influencer le lieu où ils seront affectés.

Fjeldstad (2003 : 173) affirme que si les fonctionnaires corrompus ne sont pas sûrs du lieu dans lequel ils seront transférés et de la possibilité de tirer profit de la corruption dans ce lieu, ils pourraient réagir en essayant de maximiser les possibilités de corruption dans leur poste actuel. Il cite une étude d’Arifari (2006) qui a constaté que des agents des douanes du Bénin versaient des pots-de-vin pour être mutés à des « postes lucratifs » où ils intensifiaient leurs activités de corruption, en partie pour récupérer l’argent investi dans le pot-de-vin. Dans ce cas, l’incertitude créée par la politique de rotation semble avoir eu l’effet inverse à celui escompté.

Della Porta et Vannucci (2016) décrivent les « effets boule de neige » potentiels de la corruption. Selon eux, si les acteurs ayant le savoir-faire pour créer des relations et des réseaux de corruption sont délocalisés, ils peuvent diffuser ce savoir-faire géographiquement, ce qui équivaut à une exportation de la corruption dans de nouveaux lieux.

Onder (2015 : 91) a mené une étude sur la politique de rotation géographique des effectifs utilisée par la police nationale turque et a constaté que la plupart des personnes interrogées estimaient que la mesure politique était souvent appliquée de manière injuste, ce qui entraînait un effet inverse. Une des personnes interrogées a même avoué avoir sollicité un faux rapport de santé auprès d’un médecin pour éviter d’être mutée à un poste qu’elle percevait comme une rétrogradation planifiée par ses supérieurs pour des motifs politiques. Au Mexique, il a été découvert qu’un secrétaire de l’administration des douanes avait vendu à des groupes criminels organisés un « calendrier secret des rotations » qui leur permettait de savoir quels agents des douanes travaillaient à quel endroit (Jordan 2001). Là encore, cela montre que les personnes chargées de mettre en œuvre la rotation des effectifs peuvent présenter des risques de corruption.

En général, l’une des raisons pour lesquelles les agents des douanes sont considérés comme susceptibles d’être corrompus est qu’ils perçoivent souvent des salaires bas et travaillent dans des conditions inadéquates (Chêne 2018 : 1). Il est possible qu’une rotation injuste ou non désirée par les effectifs puisse exacerber cette dynamique et les rendre plus sensibles à la corruption.

L’OMD a reconnu que « le favoritisme, les loyautés politiques et le népotisme pouvaient influencer les promotions et les mutations internes » (2021 : 51). Pour faire face à ce problème, l’OMD indique que les politiques de rotation des effectifs doivent être « exemptes de favoritisme et de parti pris, transparentes et constituer une condition d’emploi clairement comprise » (OMD 2021 : 126).

Les implications opérationnelles de la rotation des effectifs

Ce document a jusqu’à présent évalué la rotation des effectifs par rapport à l’efficacité de la mesure politique à lutter contre la corruption. Cette politique a toutefois d’autres implications opérationnelles importantes. En effet, certains des chercheurs qui s’appuient sur la modélisation économique pour évaluer l’efficacité de cette politique pour lutter contre la corruption reconnaissent que leurs modèles ne tiennent pas compte de tous ses coûts et avantages (Jellal 2009 : 16).

Les coûts financiers

L’une des principales conséquences est que la rotation des effectifs est intrinsèquement plus coûteuse que le maintien des agents à des postes fixes, principalement parce que les administrations des douanes doivent supporter les frais de déménagement de leurs fonctionnaires (Gounev et al. 2012 : 109). Ces coûts peuvent être plus élevés dans les pays de plus grande taille, où les postes sont géographiquement dispersés (Ardigo 2014 : 7). Il peut également y avoir des coûts de formation associés afin de soutenir l’intégration des effectifs dans leurs nouvelles fonctions, en particulier s’ils doivent acquérir de nouvelles connaissances (Gounev et al. 2012 : 109).

Par conséquent, les administrations des douanes, en particulier dans les pays à faibles et moyens revenus, peuvent être confrontées à des problèmes de ressources pour mettre en œuvre la rotation des effectifs. Dans le cadre de son étude sur les forces de police namibiennes, Masake (2023 : 190) a constaté qu’une politique de rotation des effectifs était en place et que ses effets pour la lutte contre la corruption étaient évalués de manière positive par les personnes interrogées, mais qu’elle était considérée comme coûteuse et donc rarement mise en pratique.

L’efficacité

Outre les ressources financières, il peut également y avoir un coût en termes de capital humain spécifique à l’emploi. Les guides de l’OMD précisent qu’il faut du temps pour se spécialiser dans la plupart des activités douanières (OMD 2015 : 160). En effet, la rotation du personnel peut être moins efficace dans les pays faisant face à une pénurie de personnel qualifié pour certaines fonctions douanières, telles que les contrôleurs et les comptables (Fjeldstad 2003 : 173).

Certains postes nécessitent également des connaissances et des compétences qui ne peuvent être acquises qu’en travaillant dans un lieu fixe, par exemple la familiarité avec les cas, les clients et les habitudes locales. Les organisations peuvent tirer profit du fait de garder un employé à un poste suffisamment longtemps pour lui permettre d’acquérir des compétences dans sa fonction (Bayar 2013 : 2). Le changement d’affectation d’un membre du personnel signifie que ces informations deviennent sous-utilisées ou redondantes, ce qui entraîne des pertes globales d’efficacité (Abbink 2004 : 888).

En fait, si la rotation des effectifs permet de perturber les relations, elle peut tout aussi bien nuire aux relations positives qu’aux relations négatives. Par exemple, les relations sociales et commerciales informelles entre les agents des douanes et les clients peuvent également être utiles en aidant les agents des douanes à mieux remplir leur rôle et en améliorant ainsi l’efficacité du travail des douanes (McLinden et Durrani 2013 : 3). Par conséquent, les changements d’affectation peuvent également entraîner la rupture de réseaux utiles (Begovic et Mijatovic 2002 : 30). Cela est notamment le cas lorsqu’un niveau de confiance mutuelle avec les habitants est souhaité (Storry 2008).

La rotation des effectifs peut également entraîner des pertes d’efficacité à court terme. Au Salvador, le manque de planification de la rotation du personnel des douanes aurait empêché l’ensemble des effectifs de disposer des accès informatiques nécessaires, ce qui a entraîné d’importants retards (La Prensa Gráfica 2017). L’Organisation mondiale des douanes (2021 : 5) recommande que les politiques de rotation tiennent compte du fait que l’occupation des postes par des employés inexpérimentés pourrait retarder les processus pendant un temps.

Par ailleurs, d’autres avancent que la rotation des effectifs peut accroître l’efficacité. Wei (2020) a mené une expérience contrôlée pour tester la capacité de la rotation à réduire l’effet de cliquet, un phénomène par lequel un agent limite stratégiquement ses efforts et sa productivité - un exemple couramment cité est celui des employés qui réduisent leur production à l’approche de leurs objectifs afin que les objectifs de la période suivante ne soient pas trop élevés. Wei a constaté que l’effet de cliquet est réduit lorsque les agents sont informés qu’ils feront l’objet d’une rotation. En outre, Ingrassia (2021) a constaté dans une étude portant sur des agents basés à Rome que la rotation des effectifs à des fins de lutte contre la corruption n’entravait pas leur développement professionnel, mais au contraire, le favorisait.

Les pertes ou les gains d’efficacité peuvent influer sur la capacité d’une administration des douanes à mettre en œuvre un ensemble plus large de mesures de lutte contre la corruption, par exemple la maintenance d’un système de signalement interne clair et efficace. En outre, la corruption engendre généralement des pertes d’efficacité dues, par exemple, à une mauvaise allocation des ressources financières. Bien qu’il soit difficile de quantifier ces pertes, il est possible que l’évitement de ces pertes compense les pertes d’efficacité opérationnelle qu’entraîne la rotation des effectifs.

Le moral du personnel

La rotation des effectifs peut également avoir des conséquences importantes sur le moral des effectifs ou leur satisfaction au travail, ce qui peut entraîner des pertes d’efficacité ou d’autres problèmes opérationnels pour les administrations des douanes. Cela peut être lié à la nature du transfert d’un agent des douanes. Eby et Russell (2000 : 667) ont constaté que, lorsque les personnes subissent un transfert horizontal, elles ont une plus grande propension à être insatisfaites et enregistrent même un taux de démission plus élevé que les personnes réaffectées avec une promotion. La même tendance est observée lorsque le changement d’affectation est perçu par l’employé comme involontaire plutôt que volontaire.

D’autres facteurs contextuels liés à la localisation de la nouvelle affectation peuvent également affecter le moral du personnel, notamment le niveau d’infrastructure sociale présent (Cho et Kim 2020 : 35). Le moral des effectifs est généralement meilleur lorsque les employés et leurs familles sont satisfaits de leur nouvel environnement physique et psychologique (Cho et Kim 2020 : 36).

La rotation des effectifs peut parfois être perçue, à tort ou à raison, comme une mesure punitive. Par exemple, la rotation obligatoire des effectifs aux postes sensibles dans les institutions publiques de Roumanie a été abrogée en 2016. L’une des raisons invoquées est que la pratique était associée négativement à son utilisation punitive à l’époque communiste (Bouman 2021 : 104).

L’OMD signale que l’effet des transferts d’effectifs peut être faussé lorsqu’ils sont utilisés pour récompenser ou sanctionner les agents des douanes (OMD 2021 : 51). Cette constatation semble confirmée par l’étude réalisée par Onder sur la politique de rotation géographique des effectifs utilisée par la police nationale turque. Cette politique a été utilisée à la fois pour récompenser et punir les employés. La plupart des participants à son étude ont déclaré qu’il était important de faire preuve de prudence lorsque cette politique est utilisée comme un outil de récompense et de punition, estimant qu’« au lieu de corriger un comportement déviant, l’utilisation punitive de la rotation géographique des effectifs peut exacerber la situation et conduire à la perte de l’agent » (Onder 2015 : 90). À cet égard, il convient de noter les orientations de l’OMD selon lesquelles les administrations des douanes doivent mettre en place une politique transparente de rotation des effectifs (2021 : 51). Cela permet de s’assurer que la politique n’est pas détournée à des fins de corruption et que chaque employé y adhère.

Conclusion

Comme mentionné plus haut, la rotation des effectifs est largement utilisée comme mesure de lutte contre la corruption dans le secteur douanier. Néanmoins, le consensus est relativement moins grand sur la manière dont cette mesure devrait être mise en œuvre d’un point de vue technique et sur les contextes dans lesquels elle est la plus adaptée. Le présent document n’a pas pour objectif de combler cette brèche, mais certaines réflexions découlant des sections précédentes sont résumées ci-après.

Les programmes de lutte contre la corruption et d’intégrité doivent être une priorité pour les administrations des douanes étant donné les risques accrus auxquels le secteur est confronté, notamment au niveau des relations et des réseaux. La logique apparente selon laquelle la rotation du personnel douanier peut empêcher ou perturber ces relations et ces réseaux est également étayée par des conclusions dans le domaine de l’économie.

Toutefois, certains éléments indiquent également que cette mesure pourrait avoir des effets limités sur certains types de relations et, ce qui est peut-être plus inquiétant, qu’elle risque d’engendrer de nouvelles formes de corruption. En outre, il a été établi que la rotation des effectifs peut avoir des implications opérationnelles significatives.

À la lumière de tous ces éléments, la promotion d’une approche unique de la rotation des effectifs n’est pas appropriée. Les décisions relatives au moment et à la manière de mettre en œuvre cette politique dans la pratique relèvent plutôt d’un exercice d’équilibrisme éclairé par le contexte local. Par exemple, Begovic et Mijatovic (2002 : 158) ont constaté que la rotation des effectifs est généralement une mesure efficace pour lutter contre la corruption, mais qu’elle entraîne des coûts opérationnels. Ils conseillent donc de donner la priorité à cette politique dans les contextes où les niveaux de corruption sont élevés. De même, l’ONUDC (sans date) indique que la rotation doit être mise en balance avec d’autres préoccupations, telles que le renforcement des compétences et l’engagement en faveur du service public.

Une autre considération importante est que la rotation des effectifs ne peut cibler toutes les formes de corruption. Il va donc de soi qu’il ne s’agit que d’une des mesures que les administrations des douanes peuvent adopter pour lutter contre la corruption. En effet, Mugellini et al. (2021 : 32) constatent que les politiques telles que la rotation des effectifs sont davantage efficaces lorsqu’elles sont associées à d’autres mesures.

Par exemple, la rotation des effectifs peut tirer parti de la vérification des antécédents et des approches de gestion des risques afin de contribuer à la sélection de lieux appropriés et peu enclins au risque pour certains agents des douanes. Lorsqu’elle est correctement mise en œuvre, la gestion des risques tient compte du contexte local et des coûts, ce qui permet de sortir d’une approche universelle. D’une manière générale, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer comment d’autres mesures d’accompagnement de la lutte contre la corruption peuvent répondre aux limites, aux risques et aux implications opérationnelles de la rotation des effectifs.

  1. Allemagne, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Turquie.

References