Publication | U4 Helpdesk Answer

Le recours à la corruption et aux menaces physiques par les groupes criminels organisés à l’encontre des agents des douanes

Requête

Quelles mesures d’intégrité les institutions des douanes peuvent-elles prendre pour accroître leur résilience à l’utilisation de la corruption et des menaces physiques par les groupes criminels organisés ?

Avertissement

Cette réponse du Helpdesk est basée sur des recherches documentaires et s’appuie donc sur des documents publiés par d’autres. Aucune recherche primaire n’a été effectuée.

Ce document tente de faire la lumière sur un problème auquel sont confrontées les administrations des douanes et qui a été, jusqu’à présent, relativement peu étudié. Dans certains cas, le présent document se fonde sur un certain degré d’inférence lorsqu’il s’agit, par exemple, d’explorer les applications possibles des résultats d’un domaine à un autre.

Introduction

D’après le chapitre 2 de la Convention révisée de Kyoto, le terme « douane » désigne les services administratifs responsables de l’application de la législation douanière et de la perception des droits et taxes et qui sont également chargés de l’application d’autres lois et règlements relatifs à l’importation, à l’exportation, à l’acheminement ou au stockage des marchandises (OMD 2006).

La corruption affecte le travail des administrations des douanes de plusieurs manières et peut les empêcher de remplir leur mission et leurs objectifs organisationnels. Selon les estimations, 30 % ou plus des recettes des douanes, générées par les taxes sur les échanges commerciaux, sont perdues à cause de la corruption (Banque mondiale, sans date).

La corruption dans ce secteur peut être le fait de différents acteurs. Les agents des douanes eux-mêmes peuvent être une source de corruption étant donné qu’ils jouissent souvent de pouvoirs discrétionnaires sur des décisions importantes. Des cas ont été signalés où des agents des douanes ont extorqué des opérateurs, par exemple en les menaçant de taxes ou de droits de douane fallacieux (Banque mondiale, sans date).

Outre cette menace provenant d’acteurs internes, des problèmes d’intégrité peuvent survenir lorsque des groupes criminels organisés tentent d’influencer les agents des douanes pour faciliter leurs activités illicites. Ces activités peuvent concerner, par exemple, la contrebande de drogues, d’armes ou d’autres marchandises illicites (Banque mondiale, sans date).

Pour ce faire, les groupes criminels organisés emploient différentes tactiques. Ils peuvent développer des relations corrompues avec les agents des douanes et les soudoyer pour leur permettre de faire passer des marchandises illicites à travers les frontières (Banque mondiale, sans date).

Bien que ce problème ne se pose pas à toutes les frontières, il a également été signalé que des agents des douanes ont été physiquement menacés par des groupes criminels organisés pour permettre à ces derniers de mener leurs activités illicites sans obstacle.2bf67e950930 Lorsqu’ils font l’objet d’une menace physique, contre eux-mêmes ou contre les membres de leur famille, les agents des douanes n’ont parfois pas d’autre choix que de se plier aux exigences des groupes criminels. Cela peut involontairement faciliter la corruption en fournissant aux groupes criminels organisés la possibilité d’exercer une plus grande influence sur les agents des douanes et leurs opérations.

La protection des agents des douanes contre de telles menaces de violence de la part des groupes criminels organisés est une question complexe qui nécessite des réponses globales et coordonnées de la part de différentes agences. Par exemple, les services nationaux (et internationaux) de lutte contre la fraude sont en général les premiers responsables des enquêtes sur les groupes criminels organisés et de la réponse aux éventuelles menaces de violence. Par ailleurs, les administrations des douanes peuvent prendre un certain nombre de mesures internes en matière d’éthique afin de réduire l’exposition de leur personnel aux menaces des groupes criminels.

La première partie de cette réponse du Helpdesk traite de la relation entre la menace physique et la corruption telle qu’elle est pratiquée par les groupes criminels organisés. Le document s’appuie ensuite sur la littérature et des sources ouvertes pour étudier le degré de présence de ces menaces dans le secteur des douanes.

Sur la base de ces résultats, la troisième partie résume et analyse le potentiel des mesures d’intégrité du secteur public destinées à prévenir et à répondre à la corruption et aux menaces physiques auxquelles sont confrontés les agents des douanes. Ces mesures d’intégrité peuvent être mises en œuvre en interne par les administrations des douanes et comprennent des mécanismes de signalement et de dénonciation sûrs et sécurisés, des politiques de rotation des effectifs, la formation des agents des douanes et un leadership éthique.

Compréhension conceptuelle de la menace physique, de la corruption et de la criminalité organisée

Les interactions entre la corruption et la menace physique

Ce document entend par « menace physique » l’intention (déclarée ou implicite) d’infliger des dommages corporels. La relation entre la menace physique et la corruption est complexe. En effet, d’un point de vue conceptuel, il est difficile de déterminer si les abus de pouvoir commis par des fonctionnaires pour se conformer à des demandes assorties de menaces physiques peuvent être considérés comme des actes de corruption. La corruption est définie comme « l’abus d’un pouvoir accordé à des fins d’enrichissement personnel » (Transparency International, sans date). Si l’on considère un scénario dans lequel un individu abuse du pouvoir qui lui a été confié en réponse à une menace physique, il serait problématique de dire qu’il l’a fait « pour un enrichissement personnel » au sens traditionnel de ces mots.

La Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) ne précise pas si la présence d’une menace physique influe sur la question de savoir si un délit de corruption a été commis ou non. Toutefois, le ministère de la Justice des États-Unis (2020) a publié un Guide des ressources sur le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), qui stipule ce qui suit :

« Les situations impliquant l’extorsion ou la contrainte ne donneront pas lieu à une responsabilité au titre du FCPA, car un paiement effectué en réponse à de véritables demandes d’extorsion sous la menace imminente d’un préjudice physique ne peut être considéré comme ayant été effectué avec une intention corrompue ou dans le but d’obtenir ou de conserver une activité commerciale. »

Cette orientation est intéressante à deux égards. Tout d’abord, la référence à la menace d’un préjudice physique suggère que le champ d’application de la défense de contrainte ne couvre que la coercition physique et non les autres formes de coercition. Ensuite, elle montre qu’il est communément admis que la menace d’un préjudice physique annule la notion d’« enrichissement personnel » contenue dans la définition de la corruption. Dans la jurisprudence pénale, la défense de contrainte est normalement disponible pour toute personne accusée d’avoir commis une infraction (The Law Dictionary, sans date). Invoquer avec réussite la défense de contrainte revient à prouver que l’accusé n’avait pas l’intention de commettre cette infraction et qu’il a agi sous l’effet d’une contrainte, physique ou autre.

En ce sens, si un fonctionnaire tel qu’un agent des douanes abuse de son pouvoir en réponse à une menace physique — par exemple, en acceptant un pot-de-vin pour s’assurer que les stupéfiants ne sont pas contrôlés à la frontière — cet agent des douanes peut parvenir à se défendre des poursuites engagées contre lui pour des faits de corruption en faisant valoir qu’il a agi sous la contrainte.

Néanmoins, cela ne changerait rien au fait que le pot-de-vin a été accepté et que l’activité illicite a été facilitée, ce qui a eu les mêmes effets préjudiciables sur les opérations de contrôle aux frontières et sur la société en général que dans un cas de corruption véritable.

Cela crée une situation quelque peu complexe dans laquelle le comportement ou les actions de l’agent des douanes en tant qu’individu peuvent ne pas être qualifiés de corruption, mais ce comportement ou ces faits contribuent à une augmentation du niveau global de corruption au sein de l’institution de cet agent. Par exemple, dans une organisation où il est perçu que certaines personnes adoptent un comportement corrompu ou une mauvaise conduite (même s’il ne s’agit pas légalement de corruption, puisque celle-ci a été causée par la contrainte), ce comportement peut être normalisé au sein du groupe. En effet, une justification courante de la corruption est que les gens perçoivent que « tout le monde le fait » et s’engagent donc eux-mêmes dans des activités de corruption (ONUDC, sans date). Cela peut conduire à l’institutionnalisation de la corruption au sein des structures et des processus organisationnels (ONUDC, sans date). Il est également envisageable que l’abus de pouvoir déclenché par les menaces physiques des groupes criminels organisés puisse directement contribuer à une corruption future, par exemple en partageant des informations sur d’autres fonctionnaires susceptibles d’être soudoyés.

Sur cette base, le présent document considère donc les menaces physiques à l’encontre des agents des douanes qui ont été signalées comme susceptibles d’avoir des conséquences similaires à celles de la corruption et entraîner une augmentation de la corruption globale dans le secteur. Néanmoins, l’auteur reconnaît que, dans de nombreuses juridictions, les agents confrontés à des menaces physiques ne sont pas considérés comme coupables de faits de corruption.

Le recours à la corruption et à la menace physique par les groupes criminels organisés

Malgré la reconnaissance internationale croissante des défis posés par la criminalité organisée et ses principaux auteurs (les groupes criminels organisés) comme en témoigne l’adoption en l’an 2000 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, il n’existe pas de définition universellement acceptée des groupes criminels organisés. Les chercheurs distinguent généralement la criminalité organisée des autres formes de comportement contraire à la loi en se concentrant sur le mode opératoire des groupes criminels organisés. Albanese (2021 : 431) explique que les définitions académiques de la criminalité organisée se fondent souvent sur des éléments similaires :

  • Des actes planifiés et rationnels commis par des groupes d’individus ;
  • Les infractions commises répondent souvent à une demande publique de marchandises et de services illicites ;
  • L’objectif des infractions est le gain financier ou matériel ;
  • La corruption et l’intimidation sont employées pour protéger les entreprises criminelles en cours.

Reed (2009 : 11) affirme que les groupes criminels organisés se servent de la corruption et de l’intimidation comme des « activités de soutien » pour permettre d’autres activités lucratives. De même, Hauck et Peterke (2010) citent la corruption et la menace de violence comme les principales activités de facilitation des groupes criminels organisés. Ce ne sont pas nécessairement les seules activités de facilitation sur lesquelles s’appuient les groupes criminels organisés, mais l’examen détaillé des autres activités dépasse la portée du présent document. Dans cette optique, cette réponse se concentre sur la manière dont les groupes criminels organisés recourent à la corruption et aux menaces physiques comme des « tactiques » pour répondre à différents besoins et environnements. Ces dynamiques sont examinées plus en détail dans la suite de cette section.

Les formes de corruption auxquelles se livrent les groupes criminels organisés peuvent être variées. Europol (2021 : 27) a identifié le soudoiement, le trafic d’influence, le népotisme et l’abus d’autorité comme étant les principales formes d’action des groupes criminels au sein de l’UE. De même, les actes violents déployés par les groupes criminels organisés peuvent inclure « les menaces, l’intimidation, le vandalisme et les agressions, et même l’enlèvement, les actes de torture, la mutilation et le meurtre » (2021 : 21).

Les groupes criminels organisés sont de nature très diverse, et tous ces groupes n’ont pas été recensés comme ayant recours à la corruption et aux menaces physiques. Europol (2021) a procédé à une évaluation de la menace que représente la grande criminalité organisée sur la base des données recueillies dans plus de 4 000 questionnaires remplis par les États membres et les partenaires de l’Union européenne (UE). L’évaluation a révélé que près de 60 % des groupes criminels identifiés se livraient à la corruption et que 60 % d’entre eux avaient également recours à la violence dans une certaine mesure (2021 : 19).

Malgré les difficultés manifestes que pose l’étude directe des groupes criminels organisés, la littérature a tenté de mettre en lumière les conditions dans lesquelles un groupe criminel organisé choisit d’employer une tactique plutôt qu’une autre. Bailey et Taylor (2009 : 11) décrivent comment les groupes criminels organisés s’appuient sur trois tactiques dans leurs interactions avec l’État : l’évasion, la corruption et la confrontation. Dans le scénario le plus simple, un groupe criminel organisé qui a l’intention de mener des activités illicites tentera d’abord d’éviter d’être détecté par l’État (évasion) ; lorsque cela est impossible, il peut essayer de coopter des acteurs de l’État (corruption) ; enfin, il peut chercher à intimider des acteurs de l’État (confrontation), bien que ce soit la tactique la moins employée en raison de son coût et sa difficulté d’exécution.2bec1506c82b Selon ce modèle, lorsque l’évasion échoue et que les activités illicites d’un groupe criminel organisé ne peuvent échapper à la détection, la préférence va à la corruption plutôt qu’à la menace physique.

Ce type de modèle, qui décrit une structure de type progressive dans laquelle les groupes criminels organisés remplacent une tactique par une autre dans certaines conditions, permet de tirer une première conclusion, à savoir que les groupes criminels organisés sont plus susceptibles de recourir à la confrontation lorsque leur recours à la corruption est limité. Gillies (2023) met en garde contre le fait que les interventions visant à démanteler les structures corrompues peuvent, par inadvertance, augmenter le risque que les acteurs de l’État soient confrontés à la violence.

Néanmoins, ce modèle a ses limites. Les groupes criminels organisés ne recourent pas toujours à la menace physique et à la corruption dans le même but. Par exemple, Europol (2021) a déclaré que la violence peut être utilisée par un groupe pour renforcer sa réputation dans les milieux criminels. Autrement dit, les raisons pour lesquelles un groupe criminel organisé recourt à la violence peuvent être sans rapport avec le fait que leur recours à la corruption soit limité ou non. Dans ce cas, les différentes tactiques servent plutôt à des fins différentes.

Reed (2009) souligne qu’il existe de grandes différences entre les pays en ce qui concerne la manière dont les groupes criminels organisés recourent à la corruption et les raisons pour lesquelles ils le font. Buscaglia et van Dijk (2003 : 23) répertorient cinq niveaux d’infiltration du secteur public par les groupes criminels organisés, allant des actes de soudoiement sporadiques ciblant des niveaux peu élevés d’organismes gouvernementaux à l’appropriation des politiques de l’État. Si l’objectif premier peut être de permettre des activités lucratives, les objectifs intermédiaires des groupes criminels organisés peuvent varier selon le niveau d’infiltration.

De même, il existe un large éventail de variables contextuelles qui déterminent les conditions dans lesquelles les groupes criminels organisés recourent à la menace physique. On observe une grande variation dans les structures et les tailles des groupes criminels organisés ; Kotzé et al. (2022) ont constaté que la violence est plus facilement le fait de petits groupes criminels organisés que des groupes plus importants et bien établis. Certains chercheurs considèrent également que le produit illicite faisant l’objet d’un trafic par les groupes criminels organisés est un facteur déterminant de la violence, par exemple lorsqu’une forte demande apparaît pour un produit (Kenny et al. 2020). Cependant, Williams (2009 : 324) a constaté que le type de produit n’est pas un facteur aussi déterminant pour le niveau de violence que le contexte politique, social et culturel dans lequel opère le groupe criminel organisé, en particulier s’il existe de graves lacunes en matière de capacités et des déficits de légitimité au sein des institutions de l’État.

Enfin, il n’est pas toujours possible de distinguer la corruption et la menace physique comme deux tactiques isolées se produisant à des stades distincts d’une escalade progressive. Par exemple, dans le cas où un groupe criminel organisé approche un fonctionnaire avec une proposition de corruption, le fonctionnaire, connaissant le mode de fonctionnement des groupes criminels organisés, peut percevoir une menace physique même si elle n’a pas été exprimée. Gounev et Bezlov (2010 : 78) ont constaté ce phénomène au niveau local au Portugal, où « les échanges corrompus “proposés” par des groupes criminels organisés aux politiciens s’accompagnent d’un degré implicite d’intimidation qui conditionne l’issue de la proposition faite ».

En effet, Fukumi (2005 : 90) décrit comment, dans les années 1980, le cartel de Medellín en Colombie utilisait la corruption et l’intimidation en tandem contre les fonctionnaires, les deux pratiques devenant essentiellement « les deux faces d’une même pièce ».

Smith et al. (2018 : 3) ont constaté que l’un des moyens utilisés par les groupes criminels organisés pour interagir avec les fonctionnaires australiens était la « menace de violence destinée à intimider ceux qui ont été corrompus ». Cela suggère l’existence d’un processus dans lequel la corruption, à l’origine dénuée de menaces physiques, s’est ensuite transformée en une situation où le comportement corrompu est entretenu par des menaces physiques.

Williams (2009 : 329) conclut que « bien qu’il soit tentant de considérer la corruption et la violence comme des stratégies alternatives des organisations criminelles (le fameux choix entre l’argent et le plomb [c’est-à-dire entre le paiement et une balle]) au [Mexique et en Irak], la corruption et la violence se renforcent mutuellement ». Dans ces deux pays, Williams démontre que les groupes criminels organisés poursuivent simultanément des stratégies de confrontation et de collusion avec l’État, plutôt que de remplacer l’une par l’autre.

De même, dans son analyse de l’utilisation de la corruption par les gangs de trafiquants de drogue au Mexique, Morris (2012) a constaté que si la corruption a pu contribuer à réduire les niveaux de violence liée à la drogue dans le passé, elle prend des formes changeantes et peut également avoir contribué à alimenter la violence liée à la drogue dans les années 2000 ; par exemple, la corruption des acteurs de la lutte contre la fraude et du système judiciaire peut avoir conduit à une plus grande impunité pour les groupes criminels organisés, réduisant ainsi les coûts potentiels auxquels ils font face en recourant à la violence (Morris 2012 : 33).

En conclusion, la littérature brosse un tableau complexe de l’utilisation de la menace physique et de la corruption par les groupes criminels organisés.Il apparaît que, selon une série de variables contextuelles, ces pratiques peuvent être utilisées dans certains scénarios comme des substituts l’une de l’autre, alors que dans d’autres elles se renforcent mutuellement. Cette constatation a des implications importantes, non seulement pour déterminer comment les groupes criminels organisés utilisent ces pratiques contre les agents des douanes, mais aussi pour concevoir des mesures visant à lutter respectivement contre les menaces physiques et la corruption.

Le recours à la corruption et aux menaces physiques par les groupes criminels organisés à l’encontre des agents des douanes

Les intérêts des groupes criminels organisés dans le secteur douanier

Certaines des variables contextuelles susceptibles de conduire à l’utilisation de la menace physique ou de la corruption comme tactique par les groupes criminels organisés ayant été établies, cette section explorera les attributs uniques du secteur douanier afin d’examiner comment les groupes criminels organisés déploient ces tactiques contre les agents des douanes spécifiquement.

Buscaglia et van Dijk (2003 : 11) décrivent le rôle clé et la vulnérabilité des institutions des douanes face aux groupes criminels organisés :

« Les bureaux des douanes sont responsables de l’autorisation de l’entrée des marchandises et des services dans un pays et jouent un rôle clé dans la prévention de la traite des personnes, du trafic de stupéfiants, ainsi que de la contrebande de marchandises et de services en général. Par conséquent, le crime organisé a tout à gagner à “s’emparer de la douane”. »

Les groupes criminels organisés ont donc un intérêt à influencer les agents des douanes pour s’assurer des profits provenant de crimes à caractère transfrontalier. Les agents des douanes sont dès lors plus exposés au crime organisé que de nombreux autres fonctionnaires (Fjeldstad et Raballand 2020 : 123).

Les agents des douanes peuvent permettre aux groupes criminels organisés de réaliser des bénéfices plus importants de différentes manières. Ils peuvent participer directement à la contrebande ou aider les groupes criminels organisés à éviter la détection des marchandises illicites. Les groupes criminels organisés peuvent s’appuyer sur des agents des douanes corrompus pour déclarer incorrectement ou sous-évaluer leurs envois de marchandises licites par l’intermédiaire de sociétés d’import/export légitimes (Chêne 2008 : 2). Selon Europol (2023 : 4), les groupes criminels organisés coordonnent des réseaux d’acteurs corrompus dans les ports (y compris des travailleurs portuaires, des agents de fret et des agents des douanes) pour obtenir des renseignements clés sur les processus logistiques afin d’éviter d’être détectés.

En outre, les groupes criminels organisés s’efforcent en définitive d’obtenir des accords aux points de passage frontalier sur lesquels ils peuvent s’appuyer pour leurs activités illicites (ONUDC, sans date). Cela signifie qu’ils ne font pas pression pour des abus de pouvoir à court terme, mais établissent plutôt pour une relation durable avec les agents des douanes, de sorte que l’abus de pouvoir se produise sur une période prolongée.9cb945369f66

En effet, en raison de l’ampleur des profits disponibles, une administration des douanes compromise qui ne parvient pas à empêcher les activités illicites contribuera indirectement, par défaut, à la croissance soutenue du groupe criminel organisé en permettant à ce dernier d’accumuler des ressources.

La corruption des agents des douanes par les groupes criminels organisés

Comme nous l’avons souligné à la section précédente, les groupes criminels organisés utilisent la corruption d’agents des douanes comme tactique pour satisfaire leurs intérêts. Toutefois, des facteurs contextuels spécifiques au secteur de la douane entrent également en jeu, qui affectent non seulement la propension des groupes criminels organisés à recourir à la corruption, mais aussi la probabilité que les agents des douanes prennent part à la corruption.

Velkova et Georgievski (2004 : 284) ont effectué une analyse transversale de la corruption parmi les agents des douanes dans les pays d’Europe du Sud-Est et ont constaté que les facteurs qui rendaient les agents susceptibles d’être corrompus comprenaient leurs bas salaires, des politiques pénales inefficaces, des systèmes de gestion des ressources humaines médiocres et le faible niveau de supervision de leurs activités.

L’Organisation mondiale des douanes (2021 : 14) cite d’autres raisons pour lesquelles les agents des douanes sont la cible de la corruption, notamment les prérogatives qu’ils exercent sur les fonctions douanières, ainsi que le fait que le dédouanement de nombreuses marchandises est soumis à des contraintes de temps, ce qui crée des incitations supplémentaires à contourner les procédures douanières.

On pourrait en déduire que les agents de rang inférieur qui travaillent sur place au contrôle des frontières constituent la principale cible des groupes criminels organisés en matière de corruption, mais la corruption dans le secteur de la douane s’étend à toute la hiérarchie. Dormaels et Walle (2011) ont réalisé une étude auprès de 707 agents des douanes belges et ont constaté que les fonctionnaires de haut niveau et de bas niveau n’ont pas fait état de taux de sollicitation à la corruption significativement différents. Cette situation se produit généralement lorsque l’échelle et la portée des activités criminelles deviennent plus complexes et qu’une facilitation de haut niveau devient nécessaire (US AID, 2019). Par exemple, une enquête de l’ Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP, 2019) a expliqué comment un individu a utilisé des pots-de-vin pour infiltrer un vaste réseau de douaniers kirghizes de haut et de bas niveau afin de blanchir jusqu’à 700 millions de dollars américains hors du Kirghizistan pour le compte d’une famille puissante au niveau local.

On peut donc en déduire que le secteur des douanes est non seulement particulièrement exposé à la corruption, mais aussi à l’utilisation de la corruption par les groupes criminels organisés. Jancsics (2019 : 4) introduit un concept indépendant de « corruption aux frontières », définie comme un « échange illégal de différentes ressources entre deux ou plusieurs acteurs ( agent(s) des douanes (receveur de pots-de-vin) et client(s) (donneur de pots-de-vin)) qui peuvent être des individus, des entreprises ou des groupes criminels organisés ». Puisque l’un des principaux devoirs de la douane est d’empêcher le mouvement transfrontalier de marchandises illicites, lequel peut constituer une activité très rentable, Jancsics estime que « la corruption aux frontières, plus que toute autre forme de corruption, peut être directement liée aux activités des réseaux criminels ».

Jancsics propose une typologie de la corruption aux frontières, les catégories principales étant la « corruption collusoire » et la « corruption coercitive ». Tandis que la corruption collusoire se réfère généralement à des cas où les personnes de chaque côté de la transaction corrompue sont des participants égaux tirant profit de cette relation, la corruption coercitive est basée sur une relation sociale inégale basée sur la dépendance. Il s’agit notamment des cas où un groupe informel, tel qu’un groupe criminel organisé, contraint les agents des douanes à faciliter une activité illégale. Les formes de coercition que Jancsics détaille à cet égard sont l’exploitation par un groupe criminel organisé de la consommation d’alcool ou de drogue d’un agent ou le chantage à la suite d’infidélités révélées (2019 : 9).

La typologie de Jancsics met fortement l’accent sur le rôle des normes sociales et des réseaux locaux dans la corruption aux frontières. Dans une publication ultérieure, l’auteur (2020 : 220) décrit comment les liens sociaux et le niveau de confiance entre l’agent des douanes et le groupe criminel organisé sont souvent déjà établis avant que la corruption ne se produise. Selon cette interprétation, l’infiltration contribue à créer l’environnement en faveur de la corruption.

Jancsics précise que le travail aux douanes, en particulier dans les lieux reculés, présente de fortes caractéristiques de groupe, dans la mesure où le travail, la résidence et les loisirs des employés se chevauchent souvent, ce qui signifie que des réseaux locaux étroits peuvent se former à l’intérieur et à l’extérieur du lieu de travail (2020 : 218-19). Les agents des douanes peuvent également subir des pressions pour s’engager dans la corruption de la part des systèmes traditionnels informels, tels que les membres de la famille comptant sur eux pour leur subsistance financière (Fjeldstad et Raballand 2020 : 123).

L’influence peut également provenir de réseaux politiques locaux. La Global Initiative Against Transnational Crime (2019 : 11) cite un fonctionnaire de police qui affirme que les agents des douanes reçoivent régulièrement des ordres et des récompenses de la part de leurs supérieurs pour éteindre les caméras à un poste-frontière entre l’Albanie et la Macédoine du Nord afin de permettre à des camions de passer sans encombre ; le butin de cette activité serait ensuite partagé entre les groupes criminels organisés et les partis politiques locaux.

Cet évènement met en évidence un point important : les groupes criminels organisés peuvent utiliser des intermédiaires pour corrompre les agents des douanes. En d’autres termes, les agents des douanes peuvent ne pas être approchés directement par des membres des groupes criminels organisés, mais plutôt par des tiers, par exemple des officiers de police qui ont eux-mêmes été corrompus par les groupes criminels organisés.

On peut déduire du rôle important des réseaux et des normes sociales que la corruption peut facilement s’enraciner dans le secteur douanier et que, de ce fait, l’interaction des agents des douanes avec les groupes criminels organisés devient plus fréquente.

L’utilisation par les groupes criminels organisés de menaces physiquesà l’encontre des agents des douanes

Par rapport au recours à la corruption, on constate un manque général de documentation sur l’utilisation par les groupes criminels organisés de menaces physiques à l’encontre des agents des douanes. Le sujet n’a pas été étudié de manière systématique, et la plupart des preuves disponibles sont anecdotiques et dépassées.

Korsell et al. (2007) ont mené une étude visant à déterminer dans quelle mesure les fonctionnaires travaillant dans le secteur de la réglementation et de la lutte contre la fraude en Suède sont confrontés à des formes de ce qu’ils appellent « l’influence illicite », un terme générique regroupant les formes graves d’influence et de pression, y compris la corruption et les menaces physiques. Ils ont reçu 4 538 réponses à un questionnaire de la part de fonctionnaires, dont 938 agents des douanes et ont procédé à une comparaison analytique de l’expérience de différents groupes professionnels.

Par exemple, 13,4 % des agents des douanes ayant répondu ont déclaré avoir été victimes de harcèlement, de menaces et/ou de violences, contre 14,8 % des procureurs et 12,2 % des fonctionnaires de police, et seulement 3,2 % des contrôleurs fiscaux. Ils ont souligné que les formes de menaces violentes auxquelles sont confrontés les acteurs varient ; par exemple, les fonctionnaires de police rencontrent dans leur travail toutes sortes de personnes susceptibles de les menacer physiquement, mais que « contrairement à d’autres groupes professionnels, les agents des douanes sont confrontés dans une large mesure à la criminalité organisée, principalement en lien avec le trafic de drogue ».Ils expliquent que les agents des douanes peuvent être exposés à la violence des groupes criminels organisés qui deviennent plus désespérés dans l’exercice de leur influence illicite (2007 : 352).

Plusieurs des agents des douanes ayant répondu au questionnaire ont révélé être exposés à une forme de « harcèlement subtil » qui ne constitue pas une violence à part entière, mais qui peut néanmoins avoir pour effet de paralyser l’agent et l’institution ; les agents ont par ailleurs déclaré que le soutien qu’ils recevaient de leur employeur contre ce harcèlement était insuffisant (2007 : 354). Bien que l’expression « harcèlement subtil » ne soit pas définie, elle rappelle la constatation faite dans la section précédente que toutes les menaces physiques ne sont pas verbalement formulées et que la corruption et la menace physique ne peuvent être facilement dissociées.

En 2020, Reportedly a cité Waheed Qatali, le gouverneur de la province d’Hérat, en Afghanistan, qui a affirmé que les agents des douanes travaillant dans la ville frontalière d’Islam Qala étaient physiquement menacés par les cartels de la drogue avec des armes telles que des couteaux, des fusils et des lance-roquettes, les contraignant à signer des documents illégaux pour faciliter la contrebande et l’évasion des droits d’accise. L’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (2014 : 3) a décrit des rapports selon lesquels les agents des douanes afghanes étaient intimidés et, dans certains cas, enlevés par des réseaux criminels et de clientélisme en représailles à la perception de droits de douane.

Les incidents ne se limitent pas toujours à des menaces, les agents des douanes pouvant être violemment attaqués voire, dans des cas extrêmes, assassinés. En 2003, Trinidad and Tobago News a rapporté qu’un agent des douanes avait été abattu par des inconnus dans ce que la police croyait être une attaque de représailles pour son refus de se plier aux « exigences de plusieurs personnes sans scrupules ». De même, en 2020, un agent des douanes d’Antigua-et-Barbuda a été kidnappé et assassiné par des inconnus ; ce fonctionnaire enquêtait sur une affaire de fraude douanière impliquant jusqu’à 3,3 millions de dollars américains (Dominica News Online : 2020). En 2022, après que des agents des douanes opérant dans l’État de Kwara, au Nigeria, ont saisi ses marchandises (riz étuvé et carburant), un réseau de contrebande a tendu une embuscade, tuant un fonctionnaire et en blessant trois autres (Daily Trust 2022).

Étude de cas :Basse-Californie, Mexique

La Basse-Californie est un État du Mexique situé au nord-ouest du pays, qui partage une frontière avec l’Arizona et la Californie aux États-Unis. Les activités douanières sont nombreuses dans cette zone frontalière, centrée sur les zones urbaines de Tijuana, Tecate et Mexicali.

Des cartels de la drogue rivaux sont très présents en Basse-Californie, notamment les cartels de Sinaloa, d’Arellano-Félix et de Jalisco Nouvelle Génération, et se livrent à de violents affrontements.

Ces cartels tentent d’influencer les agents des douanes principalement pour faciliter la contrebande de stupéfiants vers les États-Unis, mais ils sont également soupçonnés d’être impliqués dans la traite d’êtres humains et la contrebande de huachicol, une boisson alcoolisée frelatée. Infobae (2020) rapporte que des agents des douanes de rang inférieur en Basse-Californie sont régulièrement menacés par les groupes criminels organisés ou ont été soudoyés par eux.

Ces menaces touchent également les hauts fonctionnaires des douanes. En octobre 2020, la douane maritime mexicaine a participé à une opération visant à confisquer 28 kg de précurseurs chimiques utilisés pour fabriquer du fentanyl et de la méthamphétamine sur un navire arrivant du Japon au port d’Ensenada ; la police pensait que les produits chimiques faisaient l’objet d’un trafic par le cartel de Sinaloa. Peu après l’opération, un narco-message, ou « narcomanta », a été découvert dans le port avec un message d’intimidation adressé à l’administrateur de la douane maritime d’Ensenada.

En 2021, la cellule de renseignement financier (CRF) a mis en évidence une corruption généralisée au sein de l’administration des douanes de Basse-Californie, ainsi que dans d’autres administrations des douanes au niveau de l’État. L’institution a été soupçonnée d’avoir facilité plusieurs pratiques de corruption, notamment des fraudes visant à éviter les droits d’accise sur l’exportation et l’importation de voitures ; dans certains cas, ces fraudes auraient été commises en collusion avec des groupes criminels organisés. La CRF a engagé des poursuites pénales contre plusieurs administrateurs des douanes de haut rang, qui ont été démis de leurs fonctions.

Il n’est pas possible d’identifier clairement les liens entre tous les développements décrits ci-dessus, mais ces exemples montrent que les groupes criminels organisés utilisent à la fois la corruption et les menaces physiques contre les opérations des douanes en Basse-Californie.

Sources : San Diego Union Tribunal 2023 ; Animal Politico 2021 ; Infobae 2020 ; Border Hub 2021.

L’analyse de ces cas fait apparaître des recoupements possibles avec le recours à la corruption par les groupes criminels organisés. Comme pour la corruption, les groupes criminels organisés déploient des menaces physiques à l’encontre d’agents des douanes de haut rang et de bas rang. Le rôle des lieux reculés et des réseaux locaux semble important dans les deux cas. Ces paramètres peuvent être particulièrement importants dans la décision de recourir à la menace physique, car ils peuvent constituer un indicateur d’une réaction insuffisante à la violence de la part des organismes chargés de la lutte contre la fraude.

Certaines spécificités apparaissent également. Si les groupes criminels organisés font usage de la corruption principalement pour faciliter leurs activités illicites, les raisons de recourir à la menace physique ou à la violence peuvent être autres, par exemple pour exercer des représailles à l’encontre d’agents peu coopératifs. Si la menace physique semble être une tactique efficace pour faire pression sur les agents des douanes afin que ceux-ci facilitent les activités illicites, il n’est pas certain qu’elle aide les groupes criminels organisés à infiltrer les secteurs douaniers dans la même mesure que la corruption.

Enfin, ces cas indiquent que les groupes criminels organisés recourent en même temps à un mélange de différentes tactiques plutôt qu’à une succession de différentes tactiques. Néanmoins, cela n’exclut pas que la violence puisse servir de « substitut » à la corruption, lorsque les agents des douanes remplissent leur devoir et interrompent les activités illicites ou, semble-t-il, lorsqu’ils tentent eux-mêmes de s’attaquer à la corruption dans le secteur.

Exploration du potentiel des mesures d’intégrité pour lutter contre le recours des groupes criminels organisés à la corruption et aux menaces physiques à l’encontre des agents des douanes

Définition de la portée des interventions

L’une des principales raisons pour lesquelles les sections précédentes se sont attachées à comprendre les conditions dans lesquelles les groupes criminels organisés recourent à la corruption et aux menaces physiques à l’encontre des agents des douanes était de fournir un cadre conceptuel permettant de comprendre quelles sont les interventions pouvant s’avérer efficaces pour contrer ces tactiques.

Tout d’abord, un certain nombre de variables contextuelles déterminent comment et pourquoi les groupes criminels organisés ont recours à la corruption et à la menace physique. Chacune de ces variables contextuelles pourrait être étudiée beaucoup plus en détail que ne le permet le présent document, mais elles brossent un tableau complexe du moment et de la manière dont les groupes criminels organisés choisissent de recourir à la menace physique et à la corruption, ce qui signifie qu’une approche universelle n’est pas appropriée.

Deuxièmement, certains facteurs propres au secteur de la douane augmentent le risque de corruption et de menace physique. Ces facteurs sont liés à la nature du travail des agents des douanes, à leur proximité avec les groupes criminels organisés et aux normes sociales en vigueur. Pour être efficaces, les interventions doivent tenir compte de ces facteurs.

Les interventions relatives à la menace physique se divisent en deux catégories : d’une part, les mesures préventives qui visent à empêcher l’apparition de menaces physiques, et d’autre part les mesures réactives qui répondent à une menace de violence manifeste et visent donc principalement à assurer la sécurité de la personne menacée et, dans certains cas, à rendre le groupe criminel organisé responsable de ses actes.

En termes de mesures préventives, les administrations des douanes peuvent chercher à mettre en place des politiques internes visant à réduire l’émergence des menaces physiques, en mettant l’accent sur la gestion des interactions avec les parties externes et en ciblant les vecteurs potentiels d’infiltration des groupes criminels organisés. De telles politiques peuvent permettre de réduire le nombre de contacts entre les groupes criminels organisés (et leurs intermédiaires) et les agents des douanes, et ainsi d’éviter que les groupes criminels organisés aient l’occasion d’influencer le comportement des agents en recourant à la corruption et aux menaces physiques. Cela pourrait également être décrit comme un processus visant à rendre les administrations des douanes plus « résilientes » au niveau institutionnel face à ces menaces.

Les mesures réactives telles que les programmes de protection physique relèvent généralement du mandat des organismes de lutte contre la fraude. À moins que les pouvoirs pertinents de la lutte contre la fraude ne leur aient été délégués, les administrations des douanes agissant seules ont une capacité limitée à réagir aux menaces physiques existantes. Il existe cependant certaines mesures d’intégrité que les administrations des douanes peuvent prendre pour protéger leurs effectifs après l’apparition d’une menace, comme la mise en place de mécanismes de dénonciation solides.

Pour ces raisons, et conformément à l’expertise de l’Anti-Corruption Helpdesk, cette section traite des mesures préventives et réactives qui peuvent être prises par les administrations des douanes elles-mêmes.

Évaluation des risques

L’évaluation des risques est une étape importante à accomplir avant de planifier et de mettre en œuvre toute intervention politique.

Dans la première section, un modèle a été envisagé qui présente la menace physique comme une tactique de substitution utilisée par les groupes criminels organisés lorsque leur recours à la corruption est limité. Ce modèle s’est avéré limité à bien des égards, d’autres voix dans la littérature soulignant que ces deux tactiques sont utilisées en tandem par les groupes criminels organisés ou en complément l’une de l’autre.

Néanmoins, la possibilité que, dans certaines circonstances, les groupes criminels organisés puissent considérer la corruption et les menaces physiques comme des tactiques de substitution ne peut être complètement écartée. Si tel est le cas, cela peut présenter un risque sérieux : les interventions qui ciblent la corruption dans le secteur des douanes et rendent plus difficile pour les groupes criminels organisés de corrompre les agents des douanes pour servir leurs intérêts pourraient, involontairement, amener les groupes criminels organisés à déployer la tactique de substitution qu’est la menace physique.

D’autre part, il a été constaté dans les sections précédentes que la corruption, plutôt que la menace physique, est généralement le premier moyen utilisé par un groupe criminel organisé pour infiltrer une institution. Cette infiltration multiplie les points de contact entre les membres des groupes criminels organisés et les agents du secteur public. Il a été décrit comment la corruption peut s’enraciner dans le secteur des douanes, ce qui implique sur le long terme une plus grande probabilité de situations auxquelles les groupes criminels organisés répondraient par la menace physique ou la violence. En outre, la corruption au sein du secteur des douanes pourrait nuire à l’efficacité des mesures visant à lutter contre la menace physique et à la dissuader. Par conséquent, permettre passivement la corruption dans ce cas reviendrait à ne pas parvenir à empêcher l’émergence d’une menace physique.

Si la lutte contre la corruption dans le secteur douanier est une action nécessaire pour réduire le risque de menace physique à long terme, elle doit être menée d’une manière qui n’entraîne pas de risques inacceptables pour les agents des douanes sur le court terme.

Cela touche à un débat important dans le domaine de la lutte contre la corruption, à savoir le séquençage. Par exemple, un débat existe sur la question de savoir si les interventions anticorruption peuvent être efficaces dans des contextes fragiles où aucun seuil de sécurité et de normes de justice pénale n’a été atteint (GIZ 2020 : 27). Dans ce cas, il pourrait être plus judicieux de donner la priorité aux réformes en matière de sécurité et de justice pénale avant de s’engager dans des interventions de lutte contre la corruption.Il n’existe pas d’approche universelle du séquençage, mais il est important d’avoir une bonne compréhension du contexte local (Fagan, 2011).

Compte tenu de tous ces éléments, une première étape pour les administrations des douanes qui élaborent des mesures visant à renforcer leur résilience à l’influence des groupes criminels organisés pourrait consister à entreprendre une évaluation solide des risques de l’environnement dans lequel ces mesures seront mises en œuvre.

L’outil le plus pertinent dans ce cas pourrait être l’évaluation de la menace que représente la criminalité organisée, laquelle vise à « rassembler les données pertinentes et à les présenter de manière systématique afin de déterminer les tendances actuelles et futures de l’activité criminelle organisée » (Shaw 2011 : 1). Ces évaluations peuvent être menées au niveau transnational, national ou local et sont plus efficaces lorsque des informations sont recueillies auprès d’un large éventail de parties prenantes, en particulier les services de lutte contre la fraude et les services de renseignement.

La réalisation d’un tel exercice avant la mise en œuvre des interventions pourrait aider les administrations des douanes à mesurer et à atténuer les risques associés aux groupes criminels organisés, y compris leur recours potentiel à la violence. Cela peut également permettre de mieux comprendre la place de ces interventions dans une séquence d’autres interventions nécessaires.

Mesures d’intégrité publique

Les mesures préventives que les administrations des douanes peuvent prendre sont en grande partie de nature interne, c’est-à-dire qu’elles s’adressent aux employés des douanes plutôt qu’à leurs clients tels que les entreprises impliquées dans le commerce transfrontalier. Ces mesures doivent renforcer la résilience tant au niveau individuel qu’au niveau institutionnel. Pour répondre à ces critères, cette réponse du Helpdesk explore les différentes mesures regroupées dans la catégorie « intégrité publique ». Elle s’inspire de la définition de l’intégrité publique donnée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (2020), à savoir « la conformité et l’adhésion sans faille à une communauté de valeurs, de principes et de normes éthiques aux fins de protéger l’intérêt général contre les intérêts privés et de lui accorder la priorité sur ces derniers au sein du secteur public. »

L’approche de l’intégrité publique présente plusieurs avantages aux fins du présent document. Premièrement, l’intégrité publique exige des institutions du secteur public d’aller au-delà de l’objectif de lutte contre la corruption afin de développer un ensemble positif d’attitudes et de valeurs au sein de l’organisation (OMD 2021 : 13). Cela signifie qu’elle vise également les comportements qui peuvent conduire à l’établissement de contacts avec les groupes criminels organisés, même s’ils ne constituent pas de la corruption.

L’intégrité publique a déjà été appliquée au secteur des douanes. L’Organisation mondiale des douanes a adopté un programme d’intégrité et ses États membres ont adhéré à la Déclaration d’Arusha révisée en 2003, laquelle stipule que les programmes nationaux d’intégrité des douanes doivent tenir compte de dix considérations essentielles.1b79f30826f9 L’OMD tient à jour un Guide pour le développement de l’éthique, qui est révisé périodiquement et constitue un « outil complet qui aborde tous les aspects des initiatives de développement de l’éthique entreprises par les administrations des douanes ». (OMD 2021 : 10). L’OCDE (2016) a également souligné l’importance d’une approche de l’intégrité pour les agences des douanes afin de prévenir la facilitation du commerce illicite et la contrebande.

Il convient de souligner qu’il ressort d’une analyse documentaire qu’aucune recherche n’a été entreprise à ce jour sur l’application des mesures d’intégrité publique à la prévention des menaces physiques. Par conséquent, cette section s’appuie sur un certain degré d’inférence afin d’interpréter la manière dont ces mesures pourraient être efficaces contre les menaces physiques.

Des mécanismes de dénonciation sûrs et sécurisés

La dénonciation est définie comme la divulgation d’informations sur des actes répréhensibles présumés à des personnes ou à des entités dont on pense qu’elles sont en mesure de prendre des mesures (Terracol 2022). Les systèmes internes de dénonciation sont mis en place par les organisations afin de faciliter la divulgation d’actes répréhensibles en leur sein.

Il n’est pas difficile d’imaginer comment la promotion de la dénonciation peut prévenir l’émergence des menaces physiques. Les risques d’interaction avec les groupes criminels organisés peuvent être signalés et les employés peuvent être encouragés à divulguer toute suspicion de corruption de fonctionnaires par des groupes criminels organisés. Cela peut également se faire à un point de l’interaction où la corruption ne s’est pas encore matérialisée. L’avantage de cette mesure est qu’en raison de la nature locale de leur travail, les agents des douanes peuvent avoir une connaissance préalable des membres des groupes criminels organisés ou de leurs intermédiaires. Par conséquent, un système de signalement efficace peut fournir certaines données nécessaires au fonctionnement d’un système d’alerte précoce pour l’émergence de menaces physiques.

Les employés peuvent être encouragés à divulguer les risques et les infractions, mais ils peuvent aussi être obligés de le faire. Par exemple, le service australien des douanes et de la protection des frontières (Australian Customs and Border Protection Service – ACBPS) impose à tous ses employés de signaler les fautes graves, y compris les actes de corruption et les comportements criminels, à son service pour l’intégrité et les normes professionnelles (Grant 2013 : 128). En outre, il semblerait que les employés complices soient plus enclins à dénoncer eux-mêmes leurs fautes lorsque l’organisation qui les emploie promet de réagir avec indulgence (Lambsdorff et Nell, 2007).

Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de créer un environnement propice à la dénonciation. Il convient notamment de veiller à ce que les procédures soient claires et faciles à suivre (OCDE 2015). Les organisations telles que les administrations des douanes devraient rendre les informations sur leurs systèmes internes de dénonciation hautement visibles et accessibles via un large éventail de canaux (Terracol 2022 : 12).

Les personnes qui divulguent des infractions peuvent être confrontées à des risques supplémentaires une fois qu’elles l’ont fait. Il s’agit non seulement de représailles de la part de l’employeur ou d’un collègue, mais aussi de menaces physiques et de violences accrues en cas de dénonciation d’une affaire impliquant des groupes criminels organisés (Maslen, 2023 : 3).

La mesure de protection la plus importante pour surmonter ces risques est de veiller à ce que la confidentialité soit garantie. Il existe différents moyens d’y parvenir, notamment l’utilisation de logiciels libres et la suppression de toute information d’identification personnelle dans les signalements effectués par l’intermédiaire de boîtes de réclamation physiques et de numéros téléphoniques d’urgence (Maslen 2023 : 15). Si l’identité du dénonciateur et de tout tiers est mentionnée dans le rapport, l’accès à ces informations doit être strictement contrôlé (Terracol 2022 : 26).

S’il n’est pas possible de protéger entièrement l’identité de l’employé, il peut être nécessaire de mettre en place d’autres mesures de protection. Dans certaines juridictions, les dénonciateurs ont droit à des mesures de protection telles que des actions de sécurité renforcées, par exemple des patrouilles régulières et l’installation de dispositifs de sécurité et de dispositifs d’alerte électroniques (Maslen 2023 : 16). En outre, si l’affaire est portée devant les tribunaux, le fonctionnaire peut bénéficier de la protection des témoins. (Maslen 2023 : 14). Bien que cette protection ne relève pas du mandat de l’administration des douanes, le personnel responsable peut être informé de ces mesures de protection et des agences externes à contacter en cas d’aggravation de la menace.

Les employés doivent pouvoir compter sur un suivi systématique et professionnel des rapports par des unités de contrôle internes et qualifiées. Il est possible que des agents des douanes de haut niveau soient impliqués dans les groupes criminels organisés. Si tel est le cas, la capacité de l’administration des douanes à réagir au rapport sera compromise (OCDE 2016 : 52-3). La responsabilité du fonctionnement du système d’alerte interne doit être confiée à une personne ou à un service impartial, indépendant et libre de tout conflit d’intérêts, auquel sont attribués les ressources et les pouvoirs adéquats (Terracol 2022 : 11).

Cette mesure est de nature à renforcer la confiance des agents des douanes dans le mécanisme de dénonciation et apaiser leurs craintes d’avoir à faire face à d’éventuelles retombées après la dénonciation. En effet, l’administration des douanes doit prendre des mesures proactives pour protéger toute personne qui signale des actes répréhensibles présumés en étant raisonnablement convaincue que les informations communiquées sont vraies au moment de la déclaration – ainsi que tout tiers risquant de subir un comportement préjudiciable (Terracol 2022 : 17).

Contrôles du mode de vie

France (2021 : 2) définit le contrôle du mode de vie, parfois appelé audit du train de vie, comme « un outil de responsabilisation qui mesure le mode de vie d’une personne : les biens et les actifs qu’elle possède, ses habitudes en matière de dépenses et sa façon de vivre. »

Les contrôles du mode de vie pourraient être utilisés par les employeurs pour mettre au jour des cas d’enrichissement illicite parmi leur personnel ainsi que pour identifier les comportements menaçant l’intégrité de l’institution.

Cela peut être réalisé dès la phase de recrutement par le biais de procédures de vérification des employés ou de contrôles de sécurité ; par exemple, de nombreuses administrations des douanes vérifient le casier judiciaire des candidats (OCDE 2016 : 55). L’OCDE recommande que les agents des douanes soient soumis à des contrôles de sécurité complets et continus, y compris « des enquêtes régulières sur les antécédents des employés, des contrôles comportementaux, des contrôles psychométriques, des contrôles de gestion, l’élaboration de profils de risque et des audits aléatoires, en particulier pour les postes hautement vulnérables à la corruption et à d’autres risques d’intégrité » (2016 : 62). Ces contrôles peuvent aider à identifier les membres des groupes criminels organisés ou les personnes ayant des liens personnels avec eux ayant rejoint ou aspirant à rejoindre le personnel des douanes.

Dans les sections précédentes, il a été constaté que les facteurs liés au mode de vie et les relations locales peuvent accroître la vulnérabilité des agents des douanes à être pris pour cible par les groupes criminels organisés. Par conséquent, les contrôles du mode de vie peuvent révéler toute relation potentiellement compromettante qu’un employé ou un candidat peut avoir.

Par exemple, Jancsics (2019) identifie la toxicomanie comme un facteur de mode de vie pouvant être exploité pour établir des « relations sociales inégales basées sur la dépendance » entre un agent des douanes et un groupe criminel organisé. Le fonctionnaire devient intrinsèquement vulnérable à l’influence des groupes criminels organisés et exposé à leurs tactiques, y compris au recours éventuel à la menace physique. Si un contrôle du mode de vie révèle qu’un agent des douanes consomme des substances illicites, l’administration des douanes peut envisager de prendre des mesures pour atténuer les risques que cela engendre. Par exemple, le service australien des douanes et de la protection des frontières (ACBPS) a introduit un programme de dépistage obligatoire des drogues et de l’alcool pour les agents des douanes (Grant 2013 : 129).

En outre, les administrations des douanes peuvent surveiller les réseaux sociaux afin de détecter tout comportement suspect lié à la corruption (Smith et al. 2018 : 94). Ces mesures peuvent également permettre d’identifier tout lien personnel existant entre les employés ou les candidats d’une part et les groupes criminels organisés et leurs intermédiaires d’autre part.

Enfin, de nombreux organismes du secteur public obligent leurs employés à se conformer à des mesures dites d’audit financier, telles que la présentation des déclarations de patrimoine, d’intérêts et de revenus (France 2021 : 5). Si une richesse inexpliquée est identifiée sur le compte d’un employé, ce dernier doit en justifier l’origine légitime. Par conséquent, des mesures proactives d’audit financier peuvent permettre d’identifier et d’empêcher les groupes criminels organisés de soudoyer des fonctionnaires afin d’infiltrer le secteur douanier.

Des inquiétudes sont souvent exprimées quant à la compatibilité des contrôles du mode de vie avec le droit à la vie privée (France 2021 : 2). Il est donc essentiel que cette mesure soit mise en œuvre dans le plein respect de la législation locale et conformément aux pouvoirs accordés à l’administration des douanes.

Surveillance et contrôle

L’OCDE (2013) recommande aux organismes du secteur public de mettre en place un système efficace de gestion et de contrôle du risque d’intégrité afin de préserver leur intégrité. De même, la Déclaration d’Arusha révisée reconnaît que la « prévention et le contrôle de la corruption au sein de la douane peuvent être facilités par la mise en œuvre d’une série de mécanismes de surveillance et de contrôle appropriés tels que des programmes de vérification internes, des audits internes et externes et des techniques d’enquête et de poursuites judiciaires. »

Il a été établi dans la section précédente que le manque de supervision facilite la corruption et les interactions entre les groupes criminels organisés et les agents des douanes, en particulier lorsque ceux-ci travaillent à des frontières terrestres reculées et disposent d’une grande marge de manœuvre décisionnelle (Jancsics 2019 : 10).

Par conséquent, des mécanismes de surveillance et de contrôle peuvent être utilisés pour prévenir l’émergence d’une menace physique en tenant compte du caractère unique du travail aux douanes. Il existe plusieurs bonnes pratiques à cet égard. La France, la Belgique et la Slovénie ont souligné l’efficacité du recours à des unités mobiles effectuant des inspections inopinées des agents des douanes sur leur lieu de travail (Gounev et Bezlov 2010 : 103). L’accès à des informations telles que les calendriers d’inspection doit être restreint à un nombre limité de personnes responsables des contrôles ponctuels et des inspections. Les bonnes pratiques suggèrent d’effectuer les inspections en équipe, plutôt que par des inspecteurs individuels. En effet, dans plusieurs pays, dont l’Estonie, le système dit des quatre yeux impose la présence obligatoire d’au moins deux fonctionnaires lors des principales opérations douanières (Velkova et Georgievski 2004 : 287). Aux Philippines, les agents des douanes sont obligés de porter des caméras corporelles et d’enregistrer les événements pendant toutes les opérations régulières (Kusumawardhani et Diokno 2022 : 139). Il peut également être interdit aux agents des douanes d’utiliser leur téléphone portable privé pendant leur service (Jancsics 2021 : 223). Ces mesures ne reposent pas sur une entité de contrôle centralisée et peuvent donc permettre de faciliter la détection de tout risque lié à la criminalité organisée, tout en dissuadant les fonctionnaires des douanes d’interagir avec les groupes criminels organisés.

La documentation pertinente recommande que les mesures de surveillance et de contrôle s’accompagnent de systèmes efficaces pour réagir à toute détection d’un risque. L’OMD recommande que les administrations mettent en place des unités de contrôle interne pour collecter et analyser les risques provenant de différentes sources (2021 : 44). En outre, les administrations des douanes doivent disposer d’un bureau désigné chargé de mener les enquêtes internes le cas échéant ; toutefois, l’OCDE (2016 : 48) recommande de nommer un tiers externe et indépendant pour mener les enquêtes lorsque la faute implique des fonctionnaires de haut rang.

Les limites potentielles de cette mesure comprennent le fait qu’elle est principalement axée sur la détection des risques présents sur place pendant les heures de travail, alors que les interactions entre les groupes criminels organisés et les agents des douanes peuvent apparaître et mûrir en dehors de la vie professionnelle (Jancsics 2019).

Rotation des effectifs

Gounev et Bezlov (2010 : 102) différencient trois types de politiques de rotation des effectifs dans le secteur douanier. Tout d’abord, les agents des douanes peuvent être périodiquement affectés dans d’autres lieux à l’intérieur d’un pays pour effectuer leur travail. Deuxièmement, leurs quarts de travail peuvent alterner fréquemment et aléatoirement avec ceux d’autres fonctionnaires. Enfin, les horaires peuvent être aléatoires, de sorte que l’agent des douanes qui inspecte tel ou tel objet (par exemple, un envoi) ne soit pas déterminé à l’avance.

Toutes ces mesures, mises en place à différents niveaux, visent à perturber les schémas réguliers susceptibles de faciliter la corruption. Par exemple, la rotation des effectifs d’un site à l’autre peut contribuer à réduire le risque que les agents des douanes tombent sous l’influence de réseaux locaux. Si un fonctionnaire est compromis, la perturbation de son quart de travail régulier peut compliquer sa tâche de facilitation de la contrebande. Comme indiqué à la section précédente, les groupes criminels organisés visent à développer des relations durables avec les agents des douanes ; or, ces relations dépendent en partie du fait que les agents des douanes sont basés dans une zone géographique spécifique.

La rotation peut également servir à protéger les agents contre les menaces physiques en les éloignant de la source de la menace en question (Maslen 2023 : 17). Bien que les groupes criminels organisés puissent avoir une large portée géographique, si la relocalisation est envisagée de manière stratégique, le risque peut être réduit.

Cette mesure présente cependant certaines limites. Par exemple, en République tchèque, elle a été jugée inefficace en raison de la proximité géographique entre les différents bureaux de douane du pays (Velkova et Georgievski 2004 : 287). De plus, Jancsics (2019 : 11) fait remarquer que les arrangements sociaux et réseaux préexistants peuvent persister à différents endroits.

Formation

Selon Resimić (2022 : 1), l’objectif de la formation sur l’éthique pour les fonctionnaires est de les « sensibiliser aux normes d’éthiques et à la prévention de la corruption dans le secteur public ». L’OCDE recommande que la formation sur l’éthique soit dispensée de façon continue aux agents des douanes (OCDE 2016 : 54). Par exemple, l’administration fiscale et douanière néerlandaise organise une formation initiale et continue sur l’éthique pour le personnel et nomme des conseillers en éthique qui dispensent des conseils sur les normes d’éthique (Van Blijswijk et al. 2004 : 723).

Cette formation peut toucher à un large éventail de sujets liés à l’éthique. L’OCDE recommande que le programme de formation sur l’éthique soit spécialisé et adapté aux besoins de la fonction (OCDE 2016 : 54). Pour les agents des douanes, cette formation pourrait donc jouer un rôle important dans la sensibilisation aux menaces posées par la criminalité organisée. Il est probable que tous les membres du personnel ne soient pas conscients de la façon dont les groupes criminels organisés infiltrent le secteur douanier et de la chaîne des événements qui peuvent mener à l’émergence d’une menace physique.

La formation peut également porter sur les comportements pouvant rendre les fonctionnaires plus facilement identifiables et vulnérables. Par exemple, il a été constaté que les groupes criminels organisés comptent de plus en plus sur les informations rendues disponibles via les réseaux sociaux pour identifier les potentiels responsables du secteur public à approcher, que ce soit avec des incitations illicites ou des menaces physiques (Smith et al. 2018 : 88). Par conséquent, une formation sur mesure sur l’utilisation responsable des réseaux sociaux pourrait constituer un important facteur d’atténuation. Les formations peuvent également familiariser les fonctionnaires avec les politiques pouvant les aider à dissimuler leur identité, telles qu’une politique organisationnelle sur l’utilisation des réseaux sociaux par les fonctionnaires, ou des protocoles tels que le fait de ne pas porter d’uniformes en dehors du travail ou de divulguer des détails relatifs au travail à des acteurs externes. Ces politiques peuvent être présentées dans le code de conduite de l’administration des douanes.

Les données disponibles suggèrent que la formation la plus efficace combine théorie et exemples de cas pratiques (Resimić 2022 : 2). En Belgique, des jeux de rôle sont inclus dans la formation des agents des douanes, notamment pour apprendre à communiquer correctement dans des situations de vulnérabilité et à utiliser des techniques de neutralisation (Dormaels et Walle 2011 : 37). Il pourrait être utile d’explorer la possibilité d’utiliser la formation pour simuler les interactions entre les agents des douanes et les groupes criminels organisés afin que les agents comprennent mieux les risques et les menaces et qu’ils sachent réagir de manière appropriée.

Il n’y a pas de limites flagrantes à une formation bien exécutée. Cependant, un obstacle courant est de disposer de ressources suffisantes pour organiser des formations complètes et régulières sur l’équité (Resimić 2022 : 3).

Un leadership éthique

L’une des étapes clés de la généralisation de l’intégrité dans l’ensemble d’une institution consiste à veiller à ce que les personnes occupant des postes de direction à différents niveaux organisationnels agissent de manière éthique. Les gens se tournent vers les figures d’autorité pour trouver des repères sociaux, ce qui signifie que les figures d’autorité occupent une position opportune pour influencer les comportements (Jenkins 2022 : 11). Par exemple, les dirigeants peuvent faire comprendre que la corruption n’est plus tolérée (Fjeldstad et Raballand 2020 : 128).Le leadership est en outre un élément clé dans la conception et la mise en œuvre efficace de stratégies à cet effet (OCDE 2016 : 17).

Les groupes criminels organisés utilisent la corruption et les menaces physiques comme tactiques contre les fonctionnaires des douanes de haut rang et de bas rang. Par conséquent, si les dirigeants donnent l’exemple en n’ayant aucun contact non autorisé avec des acteurs externes, cela pourrait avoir un effet en cascade sur les agents des douanes de rang inférieur. En outre, à la lumière de l’étude de Korsell et al. (2007), qui a révélé que les employés du secteur public confrontés à des formes subtiles de harcèlement n’avaient souvent pas l’impression que leur employeur reconnaissait cette situation, des processus devraient être mis en place pour s’assurer que les inquiétudes des employés sont transmises à la direction et traitées de manière appropriée.

Toutefois, l’influence d’un leadership éthique de la part des hauts fonctionnaires peut être limitée. Comme l’indique l’OCDE (2020), les responsables du secteur public dirigent souvent de grandes organisations réparties sur plusieurs sites, ce qui pose des problèmes de communication. C’est notamment le cas dans le secteur douanier. Par conséquent, il est important d’appliquer le concept de leadership au sens large et de souligner l’importance du rôle des cadres intermédiaires.

Automatisation

L’automatisation des douanes peut être comprise de manière générale comme l’application des technologies de l’information et de la communication à l’accomplissement de la mission des douanes (CEE-ONU, 2012). Ces dernières années, l’automatisation des principaux processus douaniers est apparue comme une mesure de lutte contre la fraude (Fjeldstad et Rogaland 2020 : 129), comme le reconnaît la Déclaration d’Arusha révisée. Fondamentalement, l’automatisation permet de réduire le haut pouvoir discrétionnaire dont les agents des douanes disposent généralement dans l’exercice de leurs fonctions.

Par exemple, entre 2004 et 2019, l’administration des douanes d’Afghanistan a procédé à l’informatisation des opérations de dédouanement afin d’accroître son efficacité et de réduire les possibilités de corruption. Malgré les contraintes en termes de capacité et de sécurité, l’administration a enregistré une augmentation des recettes perçues dans le cadre du dédouanement (Fjeldstad et Raballand 2020 : 140).

En outre, de nombreux pays utilisent un système automatisé unique pour percevoir les droits de douane afin d’empêcher les agents des douanes de solliciter des pots-de-vin avant la phase de dédouanement (OCDE 2016 : 34).

L’automatisation permet non seulement de réduire l’émergence de menaces physiques en ciblant la corruption, mais elle peut également prévenir toute violence ou menace physique potentielles. En effet, l’automatisation de certains processus douaniers permet de réduire le nombre d’interactions en face à face entre les agents et les membres des groupes criminels organisés. Cela pourrait être particulièrement efficace dans les endroits reculés et non supervisés où les fonctionnaires sont plus vulnérables aux groupes criminels organisés.

Mais l’automatisation présente certaines limites. Il convient de souligner que tous les processus douaniers ne peuvent pas être automatisés, comme l’examen des marchandises (OCDE 2016 : 31). Deuxièmement, les systèmes automatisés peuvent être vulnérables à des formes de manipulation externe (OMD 2021 : 38).Il existe un risque supplémentaire qu’un groupe criminel organisé tente de corrompre les agents des douanes ayant accès à un système automatisé pour l’utiliser à leur propre avantage.

Approche globale

Les mesures d’intégrité décrites ci-dessus constituent des mesures internes que les administrations des douanes peuvent adopter de leur propre chef. Toutefois, l’effet escompté de ces mesures peut être limité si elles sont menées de manière isolée et ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un programme plus large de lutte contre la corruption (Jenkins 2022 : 1).

L’impact des mesures d’intégrité peut également être limité sans mesures complémentaires provenant d’autres secteurs. Fjeldstad et Raballand (2020 : 132) soutiennent que l’intégrité au sein des douanes exige une démarche pangouvernementale comprenant « l’engagement d’autres autorités de contrôle externes (telles que la police, les procureurs et le pouvoir judiciaire) ».

Compte tenu de leur rôle central dans la mise en œuvre de mesures réactives, une réponse adéquate des organismes chargés de la lutte contre la fraude est essentielle. En effet, pour atténuer tout risque de violence, les organismes chargés de la lutte contre la fraude doivent avoir la capacité de protéger les personnes ciblées par les groupes criminels organisés, y compris par des programmes de protection des témoins, et coopérer dûment avec les administrations des douanes à cet égard.

Cette approche globale peut être poussée encore plus loin. L’OMD (2021 : 30) appelle à un engagement avec le secteur privé et la société dans son ensemble pour faire face aux risques d’intégrité au sein de la douane. Les projets annoncés par le gouvernement néerlandais pour lutter contre la violence des groupes criminels organisés qui ont infiltré le port de Rotterdam pour faire passer de la drogue sont un exemple de cette approche. Parmi d’autres mesures, le gouvernement vise à offrir des voies alternatives aux jeunes vulnérables qui pourraient se tourner vers une vie de criminel (Boztas, 2022).

  1. De tels incidents ont été signalés par certains Membres de l’Organisation mondiale des douanes (OMD).
  2. Bailey et Taylor (2009 : 11) donnent les exemples suivants de ces coûts : « (1) les coûts externes, tels que la sensibilisation accrue du public à l’existence des groupes criminels organisés et à leurs activités, des niveaux de répression gouvernementale plus élevés et la répudiation publique ; et (2) les coûts internes, tels que la défection des membres, le déclin des affaires et les risques pour la sécurité personnelle des membres. »
  3. Les experts consultés lors de la rédaction du présent document ont suggéré que les groupes criminels organisés pourraient préférer utiliser la corruption comme tactique pour influencer les agents des douanes, car le recours à la violence génère des risques commerciaux supplémentaires et peut déclencher des mesures de répression, compromettant donc la durabilité de la relation.
  4. Les dix facteurs clés sont les suivants : conduite et engagement des responsables ; cadre réglementaire ; transparence ; automatisation ; réforme et modernisation ; contrôle et enquête ; code de conduite ; gestion des ressources humaines ; moral et esprit de corps ; relations avec le secteur privé.

References