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Corruption internationale et blanchiment : il est temps d’utiliser les profits illicites saisis dans l’intérêt général !
Qu’ont en commun la Société Générale (secteur bancaire), Airbus (secteur aéronautique) et Teodorin Obiang (Vice-Président de la Guinée équatoriale) ? A priori, rien. Sauf le fait d’avoir versé plusieurs millions, voire milliards d’euros, à l’Etat français pour des pratiques de blanchiment d’argent et/ou de corruption internationale : 250 millions d’euros pour la Société Générale, 2 milliards d’euros pour Airbus et 30 millions d’euros pour Teodorin Obiang ainsi que la saisie de son patrimoine estimé à 150 millions d’euros.
Des amendes astronomiques noyées dans le budget général de l’Etat
Depuis plusieurs années, des sommes astronomiques sont versées au trésor public français. Mais elles se retrouvent « noyées » dans la masse des recettes perçues, sans qu’il soit possible de déterminer dans quel objectif ces fonds serviront. En France, les recettes inscrites au budget général de l’Etat ne peuvent être affectées à une dépense particulière (principe de non-affectation du budget), sauf dans certains cas. En d’autres termes, les amendes versées à l’Etat et les biens confisqués dans le cadre d’affaires de corruption internationale et de blanchiment peuvent servir, par exemple à financer des dépenses liées à la défense et à l’armement ou au fonctionnement des ministères alors qu’elles pourraient servir à financer des dépenses spécifiques en faveur de l’intérêt général (par exemple l’éducation ou le système de santé) ou à la lutte contre les flux financiers illicites.
Pour une amende d’intérêt public au service de l’intérêt public
En créant en 2016 la convention judiciaire d’intérêt public permettant à une entreprise de conclure un accord avec la justice pour des faits d’atteintes à la probité, le législateur a prévu le versement d’une amende dite d’intérêt public. Mais pour que les amendes versées dans des affaires de corruption et de blanchiment soient réellement utilisées à des fins d’intérêt public, la France doit mettre en place un mécanisme permettant de consigner ces sommes sur un compte spécial (ou un fonds dédié) qui seraient ensuite affectées à des projets d’intérêt général, social et/ou pour lutter contre la corruption et le blanchiment. Des associations anti-corruption comme Anticor, Transparency International France et Sherpa pourraient ainsi bénéficier de ce mécanisme et poursuivre leurs actions de lutte contre la criminalité économique et financière. Un pourcentage devrait également être prélevé sur ces amendes pour couvrir les frais d’enquête (en Suisse, ce montant correspond à 2,5% des biens confisqués pour les affaires de biens mal acquis).
Au-delà de l’utilisation des amendes, une autre question tout aussi importante se pose : les pays touchés par les actes de corruption ne devrait-ils pas, eux aussi, bénéficier d’une partie du produit de ces amendes ?
Vers une réparation du préjudice subi pour davantage de justice ?
Dans la grande majorité des affaires de corruption internationale et de blanchiment, les pratiques illicites ont lieu dans des pays en développement. Ainsi, des pots-de-vin ont été versés par Airbus en Malaisie, au Sri Lanka, en Indonésie, en Colombie ou encore au Ghana et non en France. Mais l’accord conclu entre Airbus et la justice française ne prévoit pas que ces pays perçoivent une partie du produit de ces amendes. Or, la corruption et les profits tirés des pratiques illicites sont, très souvent, réalisés au détriment de pays en développement, et donc au détriment de leurs citoyens.
La corruption affaiblit l’état de droit et les institutions. Elle creuse également les inégalités entre ceux s’enrichissant et profitant des pratiques illicites et le reste des citoyens. Bien qu’invisible, la corruption a des conséquences économiques, sociales et environnementales dévastatrices sur le long terme. Il est donc crucial que les montants recouvrés bénéficient aux populations des pays touchés par ces pratiques illicites et ne restent pas dans le budget de l’Etat français.
La réparation du dommage causé à la victime en matière de corruption est certes prévue en droit français. Cependant, il est extrêmement difficile pour une victime de démontrer qu’elle a personnellement subi un préjudice à cause de l’acte de corruption. Par exemple, prouver que la corruption a privé les citoyens de services publics essentiels comme les hôpitaux et les écoles parce que l’argent a été détourné est quasiment impossible. Ce mécanisme d’indemnisation des victimes est donc intéressant mais insuffisant pour réparer les dommages subis par les citoyens dans des affaires de corruption internationale et de blanchiment.
Ainsi, la France (mais aussi tous les pays menant des enquêtes pour des faits de corruption internationale) devrait mettre en place un mécanisme spécifique de réparation en faveur des citoyens des pays touchés par les pratiques de corruption (Makinwa 2020 ; Olaya Garcia 2020 ; Theriault-Lachance 2020 ; Hickey 2019). Les profits illicites tirés des pratiques de corruption et de blanchiment devraient être systématiquement récupérés, puis restitués aux pays touchés par ces pratiques illicites. Cela constituerait une véritable réparation du préjudice subi par les citoyens de ces pays.
Comment mettre en place cette réparation ?
L’instauration d’un tel mécanisme de réparation pose, toutefois, un certain nombre de questions (voir par exemple Olaya Garcia 2020b). Le versement de ces sommes d’argent doit servir l’intérêt général et répondre aux besoins réels des pays. Ces sommes ne doivent pas être captées par une élite qui a pu, elle-même, participer aux pratiques de corruption ayant conduit au paiement d’amendes. Enfin, ces sommes ne doivent pas être restituées sous la forme de dons ni faire partie de l’aide publique au développement que la France verse chaque année, les profits illicites n’ayant jamais appartenu à la France.
Tout système devrait reposer sur des piliers et principes similaires à ceux développés dans les affaires de « biens mal acquis » :
- la transparence relative à l’attribution des fonds,
- l’intégrité dans l’utilisation des fonds,
- la redevabilité quant à la manière dont les fonds sont utilisés et
- la solidarité pour une utilisation à des fins d’intérêt général ou sociales (Transparency International France, GFAR).
Une option possible pourrait, par exemple, être d’allouer ces sommes à un fonds spécial géré par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime qui financerait des projets et initiatives visant à renforcer l’état de droit, lutter contre la corruption, protéger les lanceurs d’alerte, journalistes et la société civile dans les pays touchés par les pratiques de corruption. Ces sommes pourraient aussi être versées au Programme alimentaire mondial pour améliorer les conditions de vie des pays touchés par les pratiques de corruption et l’accès aux services essentiels.
Ces milliards d’euros doivent être utilisés à des fins d’intérêt général. Cela est d’autant plus crucial à l’heure où l’épidémie du covid-19 frappe durement l’économie et a des conséquences sociales et environnementales désastreuses à travers le monde.
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